jeudi 27 décembre 2007

Joyeux Noël

Comme nous sommes encore dans l'octave de Noël, je vous souhaite une très heureuse fête de Noël. Que la paix, la joie et l'espérance annoncés dans cet événement se concrétisent dans votre vie.

Cette année 2007 fut pour moi pleine de défis. Le jour de mes cinquante ans, je me rappelais comme si c'était hier la célébration des cinquante ans de mon père. J'avais alors treize ans. Je lui avais suggéré qu'à partir de ce jour-là, nous compterions les années à rebours, afin qu'il reste éternellement jeune! Au début février de cette année, il nous quittait, après quelques deux ans d'une maladie pénible.

De retour en Afrique du Sud, je retrouvais toutes mes activités et il ne me fallût pas plus de quelques heures pour me retrouver dans le feu de l'action. Une nouvelle tentative de cambriolage avait eu lieu au Centre de jour de Thembalabasha durant mon absence, la troisième... suivie près quelques semaines du vol d'une partie du câble électrique alimentant le centre. Nous n'avions ême pas encore commencé à utiliser l'électricité! Ce n'est que récemment que nous avons été reconnectés.

Comme vous le savez, et pour mémoire, « Thembalabasha Youth Centre » (TYC) est un des projets sociaux dont je m'occupe. Il a pour objectif d'offrir quelque espoir d'un futur meilleur aux jeunes particulièrement défavorisés de deux implantations informelles (« squatter camps »), ainsi qu'à quelques « jeunes de la rue » provenant d'Orange Farm et environs. Le projet s'est décliné, au cours du temps, en trois activités: TYClub est un centre de jour accueillant quotidiennement après l'école entre 50 et 70 jeunes; TYShelter est un centre d'accueil permanent pour les jeunes de la rue que nous n'avons pas réussi à réintégrer de manière permanente dans leur famille; TYStreet assure l'accueil de quelques jeunes des rues de Lenasia – où je suis curé – chaque mardi matin.

Dans les townships, l'éducation des jeunes est extrêmement complexe. Les valeurs traditionnelles ont largement disparu au profit d'une nouvelle culture empreinte de mondialisation, mais aussi du résultat des nombreuses années d'apartheid. La Constitution – plutôt idéaliste que réaliste – rédigée dans les premières années de l'indépendance assure aux enfants une protection théorique légale totale contre les abus physiques et moraux!! En clair, les parents et les éducateurs ont très peu d'alternatives pour corriger les enfants qui ne veulent pas écouter leurs conseils. Les jeunes en profitent largement et les parents, souvent peu éduqués et n'ayant que des moyens très limités, démissionnent souvent devant le défi. Un nombre important de ces jeunes des townships deviennent bientôt des tsotsis (criminels) qui cambriolent, violent et tuent. Parfois, ils sont victimes (?) de la colère populaire et subissent – trop tard – une correction qui ne les changera pas fondamentalement, sauf évidemment lorsqu'ils y laissent leur vie. Ou alors, tôt ou tard, ils sont arrêtés et doivent faire face à une justice dépassée par l'ampleur du problème.

Les écoles, pas toujours de bonne qualité, surtout dans les townships et pire dans les implantations informelles, font face au même défi. Depuis le début du projet en 2003, nous avons essayé trois écoles pour les jeunes du centre d'accueil, mais aucune ne nous a donné satisfaction. Depuis juin, Thabang, 14 ans, est à l'école primaire « Sierra Nevada » à Lenasia South, à quelques 10 kilomètres du centre. L'éducation y est beaucoup mieux organisée et les résultats sont incomparables avec ceux des écoles que nous avons essayées jusqu'à présent. Le directeur est devenu un ami qui m'a aussitôt fait élire dans le pouvoir organisateur de l'école. Ensemble, nous essayons de réfléchir aux moyens d'aider les parents des écoliers en leur proposant des cours d'alphabétisation ainsi qu'une formation à la dure tâche parentale. En janvier, quatre de nos jeunes rejoindront les bancs de cette école.

Lorsque j'étais en Tanzanie, les jeunes du Centre « Child in the Sun » (70 ex-enfants de la rue) quittaient en général le centre à l'âge de 17 ans avec une formation de base et professionnelle. Il faut dire que nous avions notre propre école. Ici, au centre d'accueil, les jeunes sont encore plus précoces. A 16 ans, il devient très difficile de les garder. Ils ne sont plus intéressés par l'école, se sentent « hommes » et veulent vivre comme tels. Nous avons perdu un certain nombre de nos jeunes cette année. Je vis cela personnellement comme un échec, même si la plupart s'en sortent plus ou moins bien. Quatre d'entre eux travaillent pour l'instant à ériger une clôture autour du terrain de 2 hectares sur lequel se trouve notre centre de jour. Je rêve de mieux pour eux, mais c'est ultimement leur choix. J'imagine constamment de nouvelles stratégies pour motiver ceux qui restent à étudier aussi longtemps que nécessaire. Dure tâche!

Une des raisons est qu'ils ne sont pas vraiment prêts à abandonner les habitudes acquises lorsqu'ils étaient à la rue (cigarettes, drogues diverses, sexe, etc). Heureusement, il y a bien des consolations de temps en temps, de brefs moments de conversion où l'un ou l'autre jeune redevient enfant et s'ouvre à l'émerveillement de la vie. Mais ce qui m'encourage le plus, c'est la solidarité de tant de personnes et de groupes pour le projet. Il y a le Club Rotary de Deinze, en Flandres, qui s'est démené depuis trois ans pour m'assurer les fonds nécessaires au développement du projet. Une délégation d'une quinzaine de membres ont visité l'Afrique du Sud et ont passé une journée complète à Thembalabasha. Le Club Rotary Egoli assure le lien avec le Rotary de Deinze et sont devenus partie prenante de Thembalabasha aussi. Le Club des femmes belges de Pretoria m'encourage aussi énormément en visitant régulièrement le centre, en récoltant des fonds, et en me proposant leur amitié. Dernièrement, elles ont offert un goal de football, grandeur nature, pour les plus grands qui rêvent toujours de devenir un jour des stars du football. L'Association des femmes irlandaises ont été fidèles au projet depuis ses débuts. Chaque année, elles ont au moins deux banquets destinés à récolter des fonds pour Thembalabasha et elles organisent au début décembre une fête de Noël pour tous nos jeunes, avec BBQ et cadeaux. Jo'burg Accueil, une association française qui facilite l'intégration des femmes francophones en Afrique du Sud, soutient aussi le projet, surtout par la vente d'un livre de recettes créé par Agnès Gaide, une amie française qui a quitté l'Afrique du Sud il y a deux ans. La communauté paroissiale de Donnybrook à Dublin qui a financé notre centre informatique. L'association française SOFT, créée par des « anciens » d'Afrique du Sud et qui soutiennent régulièrement tous les projets sociaux d'Orange Farm. Brian, Marc, Donovan, Keith et Shamla, Jude et Kenna, des paroissiens d'origine indienne qui sont tout-à-fait dévoués au projet. Et puis, les fidèles de Belgique et d'ailleurs qui me versent régulièrement leur cote-part par le truchement de Proma. Tellement d'amitié, de solidarité, de volonté de tant de personnes qu'il m'est difficile de toutes les nommer. Je les remercie tous du fonds du coeur, car c'est eux qui m'inspire à continuer patiemment mon travail.

Je suis curé de l'église catholique de Lenasia, une grosse communauté à prédominance indienne. J'y suis globalement très heureux, même si c'est souvent épuisant de naviguer dans une communauté assez fermée sur elle-même. Mon objectif premier est de les ouvrir aux préoccupations du Christ: donner à manger à ceux qui ont faim, habiller ceux qui sont nus, visiter ceux qui sont en prison... repris dans le concept plus moderne de « lutte pour la justice et la paix ». Si certains comprennent et commencent à agir, beaucoup restent cloisonnés dans une vie sacramentelle qui a peu d'effets visibles dans leur vie.

Si je ne donne pas souvent de nouvelles, c'est parce que je suis souvent occupé – préoccupé par toutes mes activités et qu'en fin de journée, il ne me reste plus beaucoup d'énergie pour faire quoi que ce soit. Cette semaine, petit répit... plein d'appréhension! Les jeunes du centre d'accueil sont allés passer la semaine dans leurs familles, et le centre de jour est fermé.

Je vous souhaite une très bonne fin d'année 2007 et tout ce qu'il y a de meilleur pour 2008. Merci encore pour votre amitié et votre fidélité.