jeudi 26 février 2009

Tapelo...

Mardi matin, une quinzaine de jeunes de la rue sont venus, comme à l'habitude, à la paroisse de Lénasia. Ils m'ont annoncé la grande mauvaise nouvelle: "tu ne verras plus Tapelo! Ils l'ont (littéralement) égorgé samedi soir dans une taverne!" Tapelo avait 22 ans (à ma droite sur la photo, celui qui me regarde). Je le connaissais depuis 5 ans, "un pro de la rue". Il avait déjà risqué sa vie il y a un an et demi lorsqu'il avait essayé de cambrioler une maison de Lenasia avec son ami Mpho. Celui-ci, un ancien du Shelter (centre d'hébergement), avait eu moins de chance. Il s'était fait attrapé et liquidé vite fait bien fait d'une balle de révolver au milieu du front, comme dans les mauvais films. C'est moi qui l'avait enterré dans le squatter camp où vit sa grand-mère. Il avait 17 ans!
Que s'est-il passé avec Tapelo, je l'apprendrai peut-être petit à petit. Je le connaissais bien. Je l'aimais bien, mais il vivait dangereusement! Il y en a beaucoup de ces jeunes qui ont choisi de vivre comme ça. Que faire pour rebobiner le cours de leur vie, pour effacer une partie du disque dur, et leur donner une nouvelle chance? Ils ont si peu d'espoir de s'en sortir. Ils savent que leur vie est précaire, mais ils préfèrent ne pas y penser.

Il est très difficile d'évaluer le travail que l'on fait avec les jeunes de la rue. Il faut parfois attendre des années avant de voir les fruits. Ainsi, je viens de recevoir des nouvelles de trois de mes anciens "street kids" de Tanzanie (1992-1997). prochainement je mettrai en ligne des extraits des trois lettres que j'ai reçues récemment. C'est encourageant, cela me donne la force de continuer...

A bientôt pour d'autres nouvelles.

lundi 16 février 2009

Update - mise à jour...

Mes bonnes résolutions de donner des nouvelles fréquentes n'auront pas donné grand-chose... Qu'à cela ne tienne, nouvel-an nouvelles résolutions! Cette fois je m'y tiendrai ;-)

Ma soeur Jeannine et et mon beau-frère Charles ont passé 5 semaines avec moi aux alentours de Noël. Cela n'a été pour moi que du bonheur. Partage de mon quotidien, confidences, encouragements... et bien sur un peu de Tourisme. Nous avons passé quelques jours au Cap, puis au Swaziland et enfin à St. Lucia, sur la Côte Nord-Est de l'Afrique du Sud. La veille de Noël, ils ont été très impressionnés de la situation précaire que connaissent Joseph et sa soeur (voir ci-dessous).

Depuis le début de l'année, j'ai été nommé Doyen de 17 paroisses. Cela veut dire que je suis responsable des prêtres qui y travaillent, et le président des trois "conseils décanaux" - pastoral, financier et prebytéral (les prêtres et les diacres) - qui doivent tous se réunir au moins 4 fois l'an pour coordonner l' activité. Je suis en plus supposé visiter les paroisses au moins une fois l'an et participer aux réunions que l'évêque organisera.

Je vis toujours à Lenasia, une paroisse en grosse partie indienne bien vivante juste au sud de Soweto. Il s'y passe beaucoup de choses et j'y suis très heureux, même si je dois souvent jouer au bras de fer avec des paroissiens très exigeants, voire parfois arrogants.

Je vous décrits ci-dessous, comme l'année passée, les jeunes du "shelter" (centre d'accueil) tels que je les vois aujourd'hui. Cela vous permettra de refaire connaissance avec ma petite famille.

Joseph a 17 ans. D'origine mozambicaine, son teint fort noir l'a toujours trahi et lui vaut continuelles brimades et moqueries de la part des autres. Il est arrivé à Thembalabasha il y a 4 ans, en faisant le mur à 10 heures du soir, car il s'était fait cruellement battre par son père pour avoir volé 1 rand du petit commerce de sa mère. Lorsque son père mourut, deux ans plus tard, il retourna chez sa mère. Mais lorsque celle-ci, à son tour très malade, décida de retourner au pays de ses ancêtres, Joseph, abandonné avec son petit frère et ses sœurs dans le squatter camp voisin du centre, décida finalement de revenir chez nous. A Noël, il insista pour aller visiter sa mère à Maputo (Mozambique). Il sentait sans doute que les jours de sa maman étaient comptés. A son retour, il n'a fréquenté que deux jours sa nouvelle école de menuiserie avant d'être rappelé au Mozambique pour enterrer sa mère. Lorsqu'il reviendra, il nous amènera sans doute son petit frère Ernest qui a prit de bien mauvaises habitudes depuis qu'il est laissé à lui-même.

Lindo, orphelin de mère et de père « inconnu », est le petit-fils d'un ancien bandit qui l'a « éduqué » de façon très légère jusqu'à ce qu'il décide de prendre sa liberté il y a sans doute 4 ans dans les rues de Lenasia où j'habite. Depuis deux ans il vit à Thembalabasha. Il vient de commencer, à 15 ans, sa 6ème année primaire dans une école de banlieue indienne (les traces de l'apartheid sont encore très présente en Afrique du Sud). D'un tempérament très colérique, Lindo a tous les réflexes du « tsotsi » (bandit des townships). Mais, derrière ses traits durs et masculins, il a un besoin énorme d'attention et de tendresse.

Patrick est arrivé à Johannesbourg il y a cinq ans avec son père, sa belle-mère et sa demi-sœur. Après un long voyage de Kinshasa via Lubumbashi, la famille n'eut d'autre choix que de dormir à l'abri d'une église du centre-ville. Mais le lendemain matin, Patrick se retrouvait seul et il n'a plus jamais revu son père depuis. Recueilli finalement par un malawien qui l'emmena chez sa femme sud-africaine, non loin de chez nous, Patrick n'a jamais été accepté par ses nouveaux frères. A Thembalabasha depuis plus de deux ans, Patrick a 16 ans et vient de commencer sa septième année primaire. Il parle plus ou moins couramment le Sotho (une des 12 langues officielles) et se débrouille bien en anglais. Il va falloir s'occuper très vite de lui faire obtenir un statut officiel, de crainte qu'à 18 ans, il ne se fasse attraper par la police et reconduire au Congo où il ne se sentirait plus chez lui.

Thabang a 13 ans. Il est le quatrième d'une famille de neuf enfants. Sa mère, souvent enceinte et toujours entourée de bambins, est ainsi tenue à la maison par un mari jaloux. Celui-ci ne vit que de petits boulots qui se terminent toujours trop vite. Les disputes parentales sont quotidiennes. Rien d'étonnant que dès l'âge de 8 ou 9 ans, Thabang préférait la rue, les « amis » et les narcotiques...  Il est vif et intelligent, mais très influençable et faible. Il terminera sa 7ème année primaire cette année avec un potentiel énorme pour bien réussir son secondaire et, pourquoi pas, l'université... Mais comment revenir en arrière? Comment effacer les effets néfastes de la vie de la rue? Comment le motiver pour qu'il donne le meilleur de lui-même? Si je pouvais en adopter ne fût-ce qu'un seul, Thabang serait sans nul doute celui-là.

Percy est en déficit constant d'affection et d'attention. Le moindre oubli le concernant est interprété par « Je ne suis pas aimé ». Il faut dire qu'il ne connait pas son père et que sa mère ne s'est jamais occupée de lui. Il a grandit chez une grand-mère dont le seul revenu est de faire la manche en ville. Tout un temps il déclarait que s'il pouvait tracer son père, il obtiendrait tout ce qu'il voulait de lui. Nous l'avons donc aidé à trouver son père. Mais lorsqu'il découvrit que son père fabriquait des bassines de tôle dans la rue, il perdit tout intérêt. A 16 ans, il vient de terminer l'école primaire, a été refusé à l'école secondaire à cause de son âge, mais vient de commencer une formation technique en  revêtement de fauteuil.

Sdumo, je le connais depuis le tout début du projet. Il avait alors 12 ou 13 ans. Éduqué par une mère et une grand-mère  alcooliques, il a vite fait de profiter de la situation pour faire l'école buissonnière, d'autant qu'il n'était pas spécialement doué pour les performances académiques. Son frère aîné nous a bien donné quelques espoirs... qui se sont hélas évanouis lorsqu'il participa à un des cambriolage de notre centre de jour. Le dernier essai scolaire de Sdumo se solda par un échec complet dans toutes les branches. Il quitta le centre sur un conflit concernant la détention d'un téléphone portable.

Thato est très « streetwise », rusé, sachant pour un temps adapter son comportement pour obtenir ce qu'il veut. Dans la même école que Sdumo, il n'a guère fait mieux que lui. Pourtant, il a beaucoup plus de moyens intellectuels. Mais, rejeté par une mère qui a fait de nombreux enfants un peu partout, il a appris à charmer les uns et les autres pour tenter d'obtenir, à prix modique, l'amour que tout un chacun est en droit d'espérer. Il a quitté le centre avec Sdumo, pour la même raison.

Sipho, 18 ans, je le connais aussi depuis longtemps. Sa mère le quitta il y a trois ans pour rejoindre un nième homme à Prétoria, à une centaine de kilomètres du township local. Pendant deux ans, il a réussi à continuer ses études jusqu'à passer son « grade 10 », malgré qu'il vivait seul dans le « shack » familial (espèce de cabane de tôles de plus ou moins 12 mètres carré), supporté irrégulièrement par sa mère qui lui versait une petite pension sur un compte en banque. Mais lorsqu'ils ont quitté Thembalabasha, Sdumo et Thato se sont incrustés chez lui, ce qui lui a valu de rater son « grade 11 ». Aujourd'hui, Sipho, ainsi que Sdumo et Thato, ont (ré-)intégré le centre pour un nouveau départ. Sipho est très doué en dessin et commencera sous peu une formation artistique qui pourrait lui donner des chances réelles dans la vie. Quant à Sdumo et Thato, ils ont entrepris une formation en menuiserie au centre de formation de la paroisse voisine.

Fish – alias « Doctor » - est un jeune de 15 ans. Il est arrivé à Thembalabasha cette année avec Sipho. Lorsque je l'ai connu, il avait à peine onze ans. Il vivait alors avec sa mère et sa petite sœur dans un « shack » de 9 mètres carré. Lorsque sa mère mourut, nous avons perdu contact avec lui. Son grand-père le prit sous sa garde. Récemment, Fish a demandé à Thembalabasha de l'accepter, car la vie avec un grand-père, qui n'est intéressé que par l'argent de l'allocation que le gouvernement lui donne pour sa garde, est devenue impossible. Il aurait accusé Fish – 15 ans – de « dormir » avec sa femme, c'est-à-dire sa grand-mère! Nous sommes pour le moment en conflit avec le grand-père qui refuse de nous abandonner Fish – ou plutôt l'allocation. Fish fait ce qu'il peut en « grade 10 ». Il a un certain potentiel, mais l'école qu'il a fréquenté jusqu'à présent ne lui a malheureusement pas donné les bases nécessaires pour espérer des résultats mirobolants dans une école « normale ».

Katleho est le petit dernier. Recruté dans les rues de Lenasia, il a à peine 12 ans. Lorsque nous lui avons proposé de rejoindre Thembalabasha, il a accepté tout de suite. Sa mère apparemment l'aime beaucoup, mais ne sait pas y faire. Son père biologique le battait, car l'enfant était « différent ». Lorsqu'il montra des signes de faiblesses éducationnelles, il fut placé dans une école spéciale, avec comme langue principale l'Afrikaans car c'était la seule école spéciale disponible dans les environs. Il n'en fallût pas plus pour que Katleho tente sa chance dans la rue. Aujourd'hui, il est en quatrième année primaire en anglais et à l'essai. Il ne sait pas encore lire et écrire, mais nous faisons de gros efforts pour qu'il s'en sorte. C'est un enfant adorable qui reçoit l'amour au compte-goutte, jouissant des moindres signes de tendresse. Il est un peu hyper-actif, ce qui énerve les plus grands.

Tout ce petit monde vit en permanence dans notre centre d'accueil de Thembalabasha et me tient très occupé, avec souvent des imprévus qui perturbent mon quotidien déjà lourdement chargé.

Vous me demanderez sans doute des nouvelles des trois autres. Je prends donc les devants. Tshepo est retourné vivre chez sa maman. Il est en quatrième année d'humanité et se débrouille plutôt bien. Quant à Smanga et Lisoetsa, ils ont quitté le centre. Trop exigeant sans doute, ils préfèrent la liberté de la rue. Je ne vois plus Smanga, mais je rencontre Lisoetsa presque tous les jours dans les rues de Lenasia. Il est toujours très heureux de me voir. Que faire?...

Le centre d'accueil de jour, après avoir connu une crise sans précédent au début de l'année 2008, a été réorganisé par un collaborateur congolais, Smith Kiluba, et fonctionne aujourd'hui très bien, accueillant tous les jours des jeunes de milieu très défavorisé. Il y organise du soutien scolaire, de l'éducation aux valeurs chrétiennes et humaines, de la créativité et du sport; Nous devrions sous peu créer un centre de formation technique destiné aux jeunes en rupture scolaire.

In extremis, je vous souhaite une très heureuse année 2009. Merci à tous ceux qui m'ont témoigné soutien et solidarité.