mercredi 14 avril 2010

Heureuse saison de Pâques

Je vous souhaite à tous une très heureuse saison pascale. Le Christ est ressuscité des morts, nous entraînant avec lui à recevoir la liberté des enfants de Dieu. Liberté de tout ce que le "monde" invente au quotidien pour nous distraire de notre vraie vocation: construire le monde dont Dieu rêve, un monde de respect et d'amitié, de paix et de justice, dans lequel tout un chacun se reconnaîtra comme enfant de Dieu - enfant de la Vie si vous préférez - et pourra déballer les talents qu'il a reçus pour contribuer à la re-création du monde.

Au milieu de toutes les informations contradictoires, je reste humblement attaché au Christ et à l'Eglise dont la mission première et unique est de Le proclamer vivant et agissant au milieu des hommes et des femmes d'aujourd'hui qui voudront bien s'ouvrir à Sa grâce.

Les célébrations de la Semaine Sainte dans nos quatre églises furent très intenses. A Lenasia, ce sont les dix membres du Conseil Pastoral qui ont accueilli les fidèles en leur proposant un lavement des pieds avant même qu'ils soient rentrés dans l'église. Un geste d'humilité pour les uns comme pour les autres, un geste de service et d'engagement. Vicki expliquera pendant le debriefing que, s'abaissant devant chaque personne,  elle priait personnellement pour chacun et chacune tout en lavant leurs pieds avec soin avant de finalement les baiser. Une expérience inconfortable pour beaucoup, ce geste - refusé par certains - mit l'accent sur l'aujourd'hui de la passion du Christ, le concret du salut apporté par sa mort et sa résurrection.

Le weekend d'avant, alors qu'on célébrait le dimanche des rameaux, les jeunes de toute la paroisse, communautés confondues, déambulaient dans les rues de Lenasia avec une croix grandeur presque nature, ainsi que des bannières exprimant leur foi en Jésus et leur respect pour la croix - ils en sont tantôt les victimes, tantôt les bourreaux - une croix somptueusement décorée de roses blanches et rouges, aux chants variés en anglais, en sotho et en zulu. Les jeunes noirs, qui depuis les temps mémorables de l'apartheid ont l'habitude du "toytoy" politique (ils avancent en rangs en dansant d'une manière saccadée en lançant des slogans politiques), ont inauguré le "toytoy pour Jésus", exprimant ainsi leur attachement à Celui qui reste pour eux le modèle unique d'une vie consacrée au rêve du Créateur.

Vendredi Saint, la même croix, denuée de sa décoration florale, était amenée pendant l'office de 15h et déposée devant l'autel. Les fidèles furent invités à venir vénérer la croix, huit ou dix à la fois, passant autant de temps qu'ils le voulaient auprès de la croix, alors qu'ils prenaient conscience du geste libérateur de Jésus, mais aussi de leur participation, soit par les souffrances qu'ils endurent au nom de la Vie, soit par les souffrances qu'ils infligent aux autres par leurs choix et leurs décisions. Une célébration de plus de trois heures, extrêmement touchante, une véritable leçon d'humilité, pour moi et pour beaucoup!

La veillée pascale eut lieu dans trois communautés et de nombreux baptêmes d'adultes - au terme d'au moins 15 mois de préparation - furent célébrés. A Lenasia, ce sont 4 adultes qui ont répondu personnellement "Je crois" aux trois questions fondamentales de la foi avant d'être plongés dans une énorme bassine d'eau plutôt froide. La bassine - devenue "fonts baptismaux" pour l'occasion - avait été remplie, juste avant le baptême, par une trentaine de fidèles de toutes conditions (hommes, femmes, jeunes, enfants, riches, pauvres, noirs, bruns, ...), le symbole de la responsabilité de la communauté d'accueillir en son sein de nouveaux membres. Haut lieu de l'initiation chrétienne, le veillée pascale est très haute en couleur. La joie s'exprime dans les chants, les danses, le geste de paix, l'accueil des nouveaux baptisés... A Saint Kizito, dans une partie de Lénasia qui a une population noire très dense, les chrétiens ont continué à célébrer dans l'église pendant toute la nuit, jusqu'au lever du soleil où ils ont célébré la messe de Pâques, luttant contre le sommeil pour proclamer que le Christ est ressuscité!

Prochaine grande célébration: la Pentecôte que nous célébrerons au "Centre Civique" de Lenasia, car aucune de nos églises n'est assez grande pour contenir les quatre communautés ensemble. Nous y célébrerons la venue de l'Esprit Saint, la présence de Dieu dans l'Eglise qui est supposée nous permettre de déjà vivre le rêve de Dieu. Concrêtement, après un long temps de réconciliation avec Dieu, nous aurons la messe pendant laquelle des bébés et quelques jeunes ados seront baptisés, ainsi que quelques jeunes adultes confirmés, après quoi, nous célèbrerons notre "communion" dans nos différences. Chaque communauté apportera les mets les plus culturels et les plus délicieux à partager avec les autres cultures. Après le repas, les différents groupes de jeunes et d'enfants - ainsi que les adultes s'ils parviennent à se décoincer - présenteront de petits spectacles culturels (selon leurs traditions ou selon leur âge). Cette "communion" reste difficile en Afrique du Sud. L'an passé, alors que tous les noirs étaient présents, seulement un quart de la communauté indienne était présente. L'évangélisation continue, et j'espère augmenter les statistiques à la moitié de la communauté cette année.

Peu de temps après mon retour de vacances, le supérieur des Pères Blancs en Afrique du Sud m'a fait part d'une demande spéciale venue du Supérieur Général à Rome. Il m'expliqua que le centre de formation des Pères Blancs à Merryvale (Afrique du Sud - Kwa Zulu Natal) avait besoin d'un formateur pour faire équipe avec deux autres formateurs, car l'actuel troisième était appelé en juin à devenir recteur d'un autre centre de formation à Kinshasa. Notre formation dure 10 ans après la fin des humanités (trois ans de philosophie, un an de spiritualité, deux ans de stage et enfin, quatre années de théologie). Merryvale est un des centres de cette dernière phase de formation (les quatre années de théologie). Le centre a été inauguré il y a deux ans et accueille pour l'instant une dizaine d'étudiants presque tous africains (aucun sud-africain hélas). Mais il pourra accueillir à terme jusqu'à 45 étudiants. Ils étudient à Cédara, un consortium théologique auquel participent plusieurs sociétés religieuses ainsi que les différents diocèses d'Afrique du Sud.

Vous vous doutez déjà de la suite... Le supérieur général m'a demandé d'accepter de remplacer le confrère qui s'en va à Kinshasa. Je devrais aussi devenir responsable d'une paroisse proche de Merryvale, dans un township, afin de donner aux étudiants un lieu où ils peuvent, les weekends, mettre en pratique ce qu'ils apprennent la semaine.

J'étais loin de m'attendre à une telle demande. J'ai beaucoup mûri comme prêtre à Lenasia, où j'ai fait l'expérience de ce qu'il y a probablement de meilleur en termes de collaboration avec les laïques, mais aussi de ce qu'il y a de pire en termes d'opposition de la part d'autres laïques. Mais, d'une manière générale, je me plais à Lénasia, même si les défis sont très fréquents. Et qu'adviendrait-il de mon projet si je devais partir? Moins dramatique, mais à mettre dans l'équation, sont ma fonction de doyen ainsi que mon rôle comme aumonier national de l'association "Youth Encounter Spirit". Un défi important est aussi le zulu. Car, dire la messe en zulu et utiliser le zulu occasionnellement entre deux phrases en anglais est une chose, mais fonctionner complètement en zulu dans une paroisse qui ne connait sans doute que très peu d'anglais en est une autre.

Tout en méditant sur tout cela, mon instinct m'a poussé à comprendre que la demande de mes supérieurs représentait un intérêt supérieur pour la Mission, et j'ai donc accepté la nomination pour Janvier 2011. J'ai passé presque six ans à Lenasia et l'assurance qu'un confrère m'y remplacera me donne la paix. Quant à mon projet, il était temps, de toutes façons, de réfléchir au futur, car économiquement, il ne deviendrait sans doute jamais viable.

Au centre d'accueil de Thembalabasha, je n'ai donc accepté aucun "nouveau" malgré les possibilités et les demandes. Il n'est pas pensable de continuer le projet si je suis à 500 kilomètres. Les problèmes sont trop fréquents, les résultats trop difficiles à obtenir, et les éducateurs trop fragiles. La situation économique du pays est en train de changer d'une manière dramatique. Le prix du transport en commun vient d'augmenter de 75%, le prix de l'électricité et de l'eau doublera de prix endéans les deux ans (33% d'augmentation récemment), l'augmentation très sensible du carburant a entraîné immédiatement une augmentation effrayante dans le secteur de l'alimentation, l'événement Mundial 2010 provoquera lui aussi une augmentation des prix dans tous les secteurs...

Politiquement, le malaise existant depuis déjà pas mal de temps est en train de se polariser sur un racisme récurrent, prôné par des figures politiques ayant la cote parmi la population noire. Vous avez sans doute lu dans la presse les extravagances du Président de la branche des "Jeunes" de l'ANC (le parti au pouvoir), un certain Malema. Dans toutes les réunions politiques avec la jeunesse universitaire, il chantait un chant du temps de la résistance anti-apartheid appelant à "tuer les boers". Le président Zuma lui-même chantait pendant sa campagne "Leta mshini wami" (donnez-moi ma mitraillette). Sachant que quelques trois mille fermiers blancs ont été assasinés depuis 1994, et que de nouveaux meurtres sont quasi hebdomadaires, la situation devient de plus en plus inquiétante. Même si, récemment, Malema a reçu de son parti l'instruction de ne plus chanter ce chant, le mal est fait, et le rêve de réconciliation de Mandela a été sérieusement ébranlé. Les jeunes du centre ne sont pas à l'abri d'une telle propagante et n'ont pas la maturité pour faire la différence.

L'avenir de Thembalabasha n'est pas encore complètement décidé. Mais ce qui se passera sans doute est que le centre d'accueil sera fermé et les sept jeunes qui y sont encore seront progressivement réhabilités dans leurs familles respectives. L'éducatrice continuera à suivre régulièrement leurs progrès et évaluera les besoins économiques nécessaires pour qu'ils continuent leurs études. Tant que possible, je continuerai à payer les frais scolaires (minerval, uniformes, fournitures, transport, voyages scolaires), ainsi qu'une assistance alimentaire pour ceux qui en auront vraiment besoin. Au centre de jour, Thembalabasha fusionnera peut-être avec un autre projet qui s'occupe des enfants provenant de parents victimes du sida. Pour le moment, ce projet nourrit et suit scolairement environ 200 enfants et jeunes adolescents. Le centre pourrait aussi devenir un lieu d'études pour les élèves d'humanités. Beaucoup d'entre eux n'ont pas, dans le squatter camp, d'endroit adapté à l'étude après l'école. Ils n'ont aucun accès à Internet alors que les écoles font de plus en plus appel à cette technologie, sans en fournir l'accès.

Voilà, j'avais beaucoup à dire. C'est pourquoi cela m'a pris beaucoup de temps avant de coucher sur papier - en fait sur l'écran - ces nouvelles.

Entretemps, de nombreux amis continuent à supporter économiquement et par la prière mes projets. Je les remercie du fonds du coeur. Un merci tout spécial à la paroisse Saint Paul de Waterloo qui m'a adopté comme missionnaire. Merci aux six mamans qui ont organisé un concert au profit de Thembalabasha, merci à Jean-Philippe de courir le Marathon à Paris pour mes projets. Pardon de ne pas vous donner plus fréquemment de mes nouvelles. Le temps passe trop vite et les quelques temps libres dont je jouis n'ont souvent d'autre fonction que de recharger mes batteries.

Recevez toute mon amitié.