mardi 8 décembre 2009

Meurtre du Pere Louis Blondel

C'est avec une grande tristesse que je dois vous faire part du décès du Père Louis Blondel, assassiné dans le presbytère de sa paroisse dans la nuit de dimanche a lundi. Je suis désolé de reprendre contact avec vous sur une note si négative, mais telle est notre vie. Le Père Louis, français d'origine, était notre supérieur provincial jusqu'en juin 2009. J'avais vécu avec lui pendant deux ans à Cordis - Orange Farm. Voici comment sa mort s'est passée.
A 3 heure du matin, dans la nuit de dimanche a lundi, trois jeunes garçons se sont introduits dans le presbytère en passant entre les barreaux de sécurité d'une fenêtre. Ils ont immédiatement menacé le Père Guido (75 ans) - réveillé par le bruit - et ont fouillé sa chambre dans l'espoir de trouver de l'argent. Ils n'ont trouvé d'intéressant que 50 rands (environ 4 Euros) et un gsm. Ils ont exigé la clé de la porte d'entrée. C'est ainsi qu'ils ont pu faire entrer un jeune adulte qui, lui, n'avait pas pu passer entre les barreaux. Ils ont demandé qui d'autre habitait dans la maison. C'est à ce moment que le Père Louis (70 ans) est sorti de sa chambre et que l'homme qui venait d'entrer lui a immédiatement tiré une balle, apparemment dans le coeur. Le Père Guido a profité de la confusion pour se réfugier dans la cuisine et en barricader la porte avec le frigo. Il a alors commencer à crier pour alerter les voisins qui se sont dirigés vers la maison. Mais d'autres coups de feu les ont forcés à rebrousser chemin. Les bandits se sont alors enfuis avec deux ordinateurs et le Père Guido a découvert le corps sans vie du Père Louis, gisant dans son sang.
Le mois de décembre est réputé dangereux, car les bandits ont besoin d'argent pour les fêtes de fin d'année. Le fossé entre les riches et les pauvres continue de s'agrandir. L’éducation se dégrade et les parents des townships n’ont que peu de prise sur leurs enfants. C'est le quatrième prêtre catholique qui est assassiné en Afrique du Sud cette année.
J’assiste a une conférence a l’île Maurice jusqu’au 16 décembre, puis je rentre en Afrique du Sud pour quelques jours avant de m’envoler pour la Belgique le 20 décembre, ou je resterai jusque fin janvier. J’aurai sûrement l’occasion de revoir certains d’entre vous.

jeudi 27 août 2009

Chez vous pfff... chez nous brrr...

Eh oui, ceux qui sont férus de géographie le savent: alors que vous avez souffert de la canicule, ici, dans l'hémisphère sud, c'était l'hiver, avec des températures qui avoisinaient bien souvent zéro degré la nuit à Johannesbourg! Par contre, en décembre, pas question d'un Noël blanc... Heureusement le printemps est bien là, au grand réconfort de tous.

Depuis mon dernier message, plus de deux mois se sont passés, bien riches en événements. Le centre d'accueil de Thembalabasha s'est métamorphosé presque complètement. Tout d'abord humainement, les neuf garçons de 12 à 20 ans du centre d'accueil sont passés par une phase de transition sans retour en arrière... j'espère. J'attribue ce "passage" à trois événements qui ont tous eu lieu en juillet.

Ordinairement friants de films d'action, les jeunes ont été très touchés par ce film indien, mettant en scène un homme riche, mais profondément blessé par son enfance, qui est condemné par un juge à s'occuper des 4 enfants du couple qu'il a accidentellement tués dans un accident de voiture. Les 4 enfants n'ont qu'un but: le faire échouer pour qu'il serve les 20 ans de prison promis par le juge en cas d'échec. Lui n'a de temps que pour son business et ne ressent rien pour les enfants. Mais un ange (ou devrais-je dire une ange) est envoyée par Dieu pour faciliter la réconciliation et instaurer des relations authentiques. Un film très attendrissant, typiquement indien. Nos jeunes se sont immédiatement identifiés à ces enfants qui pleuraient leur misère en planifiant constamment la vengeance. Ils ont soudainement réalisé que les nouvelles relations dont ils jouïssent pouvaient leur procurer le bonheur et la chance dont ils se croyaient à tout jamais privés.

Le deuxième événement fut la visite de l'ambassadeur de Belgique le 18 juillet à l'occasion du "Mandela Day". Ils l'ont reçu avec beaucoup de respect et de simplicité. L'ambassadeur s'est beaucoup intéressé à chacun d'eux, posant beaucoup de questions, surtout sur la manière dont ils voyaient leur avenir. Un "entretien" qui a duré plus d'une heure trente où chacun s'est vraiment senti accepté et valorisé.

Le troisième événement fut la participation de nos jeunes à un "YES weekend", un programme destiné aux jeunes, qui les aide, au travers de relations profondes avec leurs semblables, à mieux comprendre d'où ils viennent et où ils vont. On s'attendait à la participation de 80 jeunes, mais on s'est finalement retrouvés avec 120 jeunes, un délicieux cocktail de garçons et de filles, indiens et africains... une première dans ce genre d'événement. Là, de nouveau, nos jeunes se sont sentis écoutés et acceptés, et ont pris conscience que leur blessure émotionnelle était partagée par de nombreux autres jeunes participant au weekend.

Le résultat est incroyable! Il y a maintenant moyen de dialoguer, de raisonner, de parler de nos relations, d'envisager un futur pour chacun. On ne joue pratiquement plus au chat et à la souris, mais tous essaient de trouver leur place dans la communauté de manière authentique et naturelle.

Patrick et Thabang termineront leur cycle d'éducation primaire (7ans) en décembre. Thabang, qui aura alors 14 ans continuera au secondaire. Patrick, qui aura 17 ans, veut devenir "chef cuisinier" et se dirigera donc vers une formation professionnelle. Lindo, qui vient de fêter ses 16 ans, terminera l'an prochain ses primaires avant d'entreprendre lui aussi une formation professionnelle. Doctor - alias Fish - est en 10ème année (4ème année d'humanité en Belgique), ainsi que Tshepo. Mais leur retard scolaire est si important que j'ai peu d'espoir qu'ils en sortent vainqueurs. Il faudra sans doute improviser. Sdumo et Thatho ont accompli une formation professionnelle en menuiserie et continuent pour l'instant à se former en recouvrement de fauteuil. Quant à Sipho, 20 ans, il est l'artiste du groupe: très doué en dessin, peinture, etc, il suit pour l'instant un cours d'art chez une professeur de Lenasia qui m'assure que Sipho est "la star" de ses nombreux élèves. Le futur n'est pas facile à envisager pour lui, car il n'a pas de diplôme d'humanité, ce qui lui ferme toutes les portes... enfin presque car je lui ai peut-être dégoté un cours professionnel de trois ans... A suivre. Nous avons repêché, in extremis, le petit frère de BigBoy, un "ancien" de Thembalabasha, qui a plutôt mal tourné. Il s'appelle Bafana, a 12 ans, et est très sympa. Il est en 5ème année primaire et se débrouille plutôt bien. Les weekends, nous hébergeons aussi le petit frère de Thabang, ainsi que Thabo, un jeune qui fréquentait le centre de jour, mais qui vit dans un environnement très défavorable aux études qu'il voudrait continuer.

Une annexe a été ajoutée au bâtiment principal, m'assurant un bureau convenable ainsi qu'une salle de classe et de réunions qui me permettent d'excercer pleinement ma vocation. Une minuscule chambrette me permet aussi de passer la nuit au centre lorsque, par chance, je n'ai pas de réunion ailleurs. La salle de séjour du centre a aussi été rénovée (bar-salle à manger, fauteuil et TV par satellite) et des peintures festives aux murs grâce à l'intervention financière de deux amis fidèles du centre - Marc et Evelyne - de passage à Johannesbourg.

Une paroisse enthousiaste de Waterloo a choisi de soutenir mon projet. Vous pouvez d'ailleurs voir de nombreuses photos sur leur site. En plus d'un soutien financier régulier, ils voudraient lancer une opération "Cartes de Noël" au profit de Thembalabasha. J'en suis très heureux, car, comme vous vous en doutez, l'argent est le nerf de la guerre... et tout coûte très cher ici. Je vis sur les réserves d'une grosse opération menée par un grand ami fidèle du Rotary Club de Deinze, mais elles fondent à vue d'œil. Je vous ferai signe dès que possible pour que vous puissiez soutenir ce projet de cartes de Noël.

Autres nouvelles à un peu plus tard. Je suis souvent "à la bourre", à cause de mes nombreuses responsabilités. Je vous embrasse et vous souhaite une excellente rentrée.

mercredi 1 juillet 2009

Vingt ans...

Eh oui, aujourd'hui il y a vingt ans, j'étais ordonné prêtre à l'église Ste Alène à Bruxelles. Et quelques mois plus tard, je partais pour Dar es Salaam en Tanzanie. J'y ai passé 8 années très heureuses au service d'une paroisse populaire de cette capitale "très africaine" et surtout j'y ai fondé un centre de réhabilitation pour les enfants de la rue "Child in the Sun". Récemment, quatre de "mes anciens" ont repris contact avec moi, qui par émail, qui par gsm portable. Le moment le plus traumatisant fût sans aucun doute mon passage fortuit au Rwanda, à partir du 5 avril 1994... Vous ne vous en rappelez sans doute pas, mais le 6 l'avion du président Habyarimana était descendu par un tir de missile, ce qui déclencha immédiatement le génocide qui a fait couler tellement d'encre dans la presse internationale depuis.
Les cinq ans passés en Belgique à partir de novembre 1997 me permirent de renouer avec mes racines et de passer quelques années proche de mes parents avant de repartir en janvier 2003 pour l'Afrique du Sud où je travaille actuellement. Vous n'êtes pas sans savoir que la coupe du monde de football s'y déroulera en juin 2010. La “Confederation Cup” vient de se terminer et tout s'est très bien passé. Le gouvernement fait de grands efforts pour mettre de l'ordre dans le pays avant cette “première africaine”. Réservez donc vos billets dès à présent ;-)
Je rends grâce à Dieu pour tout ce que j'ai vécu jusqu'à présent et remercie tous les amis fidèles qui m'ont soutenu tout au long de ces vingt ans.

mercredi 17 juin 2009

16 Juin, jour mémorable

Le 16 juin 1976, les écoliers de Soweto sortent dans la rue pour protester contre l'obligation du gouvernement de l'apartheid d'utiliser l'Afrikaans comme médium d'enseignement dans les écoles bantoues. Un bras de fer entre le gouvernement et la jeunesse noire s'en suivit, résultant de la mort de nombreux jeunes. Ce jour mémorable a certainement marqué le début de la fin du régime de l'apartheid. Aujourd'hui, on célèbre le 16 juin comme "Journée de la Jeunesse". Mais pour vraiment donner une chance à la majorité des jeunes des townships, il faudra améliorer l'enseignement, retrouver des valeurs humaines solides, développer les opportunités d'emploi et, avant tout, entourer les jeunes de l'amitié nécessaire à leur développement humain. C'est ce que nous tentons de faire au centre d'accueil de Thembalabasha.

Jason a 18 ans. Nous l'avons connu lorsqu'il en avait 14. Il vivait avec son petit frère dans le shack (cabane de tôles) que leur père avait déserté pour vivre avec sa nouvelle femme. Celle-ci ne voulait pas des enfants du marriage précédant dans sa maison. Jason ne faisait que passer chez son père pour prendre la nourriture que le nouveau couple voulait bien leur donner tous les jours. Mais cette situation ne pouvait durer et le conflit entre Jason et sa nouvelle "belle-mère" - et donc avec son père - s'amplifia rapidement, ce qui amena Jason à prendre le chemin de la rue... et de la drogue. Jason a passé plusieurs séjours à Thembalabasha, toujours très instable, montrant un idéal spirituel très profond - espoir d'une intervention divine presque magique - ce qui le rendait très attachant. Mais il n'a jamais vraiment réussi à vaincre la frustration du rejet de celui qui lui avait donné la vie. Après son premier séjour à la prison des jeunes de Bosasa, je lui ai donné l'argent nécessaire pour qu'il puisse aller à la recherche de sa mère biologique. C'était il y a un an et demi. Depuis une dizaine de jours, il m'a téléphoné au moins cinq fois de la prison de Leeukop à Bryanston (au nord de Johannesbourg). Il voulait que j'aille le visiter le 16 juin, car depuis presque un an qu'il est emprisonné, il ne reçoit aucune visite.

Hier matin, j'ai confié les 8 adolescents du Centre d'accueil à Clémence, une jeune femme française, amie du centre. Elle a passé la journée avec eux à Gold Reef City Theme Park (le Walibi / Disneyworld de Johanesbourg). Ainsi, j'étais libre pour aller visiter Jason. Accompagné de deux de mes collaborateurs, l'éducatrice noire "Antie" et mon ami fidèle indien Brian - qui est aussi le président de l'association Thembalabasha - nous sommes arrivés à la prison à 10h. Il s'agit d'une propriété énorme, dans laquelle il y a je pense 6 centres pénitenciaires. Une queue de 150 mètres nous accueillait pour attendre le bus qui devait nous transporter en haut de la colline au centre "Medium B" où est emprisonné Jason. Le bus - style taxi brousse remplit au maximum - nous y a finalement déposé à 11h30, une heure trente après que nous soyons arrivés au bas de la colline. Pour rentrer dans le centre pénitenciaire lui-même, nous avons du passer à la fouille manuelle. GSM, cigarettes, limonades et certains types de nourritures ne peuvent y entrer. Nous avions laissé nos GSM dans la voiture, mais Brian a du abandonné ses cigarettes (qu'il n'a pas retrouvées à la sortie) et j'ai du abandonné les limonades (que j'ai retrouvées à la sortie). Une aventure quelque peu humiliante, il faut dire.

C'était un "family day", à l'occasion du 16 juin. Il y avait un monde fou. les jeunes prisonniers étaient regroupés sur un terrain d'à peu près 50 mètres sur 50. Mille deux cents jeunes, dont probablement un quart avec leurs familles. Pas vraiment d'espace pour un peu d'intimité! Jason était très heureux de nous revoir. Le même Jason avec ses aspirations spirituelles. Il est condamné à trois ans, mais pourrait sortir dans deux mois si son père s'engage à le contrôler... mais celui-ci ne répond pas aux lettres de Jason. Il m'a remis une lettre à lire quand je serais de retour chez moi. Sa lettre exprime ses regrets et me remercie pour ce que je fais... Il me demande d'essayer de retrouver son père! J'ai retrouvé deux autres jeunes au même endroit. L'un d'eux est un jeune que j'ai connu dans la rue à Lenasia et qui avait disparu depuis plus d'un an. L'autre est un jeune du centre de Laszlo, un prêtre ami qui s'occupe aussi de jeunes délinquants à Johanesbourg.

Le même "parcours du combattant" nous a ramené au pieds de la colline vers 14h30. J'ai récupéré les jeunes du shelter à 16h20. Ils étaient heureux de la journée et épuisés par les émotions fortes des différents engins du "Theme Park".

dimanche 7 juin 2009

Quelques nouvelles, suite...

Il est 22h30 ce dimanche soir. Je viens de rentrer après une journée bien chargée. Deux messes ce matin, suivies d'un conseil pastoral de 2 heures. Dîner dans la salle paroissiale avec une famille qui a célébré ce matin la pose d'une pierre tombale. Puis formation des lecteurs à 15h. A 16h30, je me rendais à une autre réunion que j'ai du quitter après 15 minutes pour me rendre au chevet d'une mourante. A 19h00, j'avais rendez-vous avec le directeur de l'école où je suis membre du pouvoir organisateur pour discuter, entre autres, de deux de mes jeunes qui donnent du fil à retordre. Et voilà... le temps passe vite.

Un de mes confrères est devenu évêque du diocèse de Bethléem (en Afrique du Sud) en mars dernier. Réagissant à mon envoi de ce matin, il me souhaite de rester porteur d'espoir. Je relis donc les nouvelles que j'ai écrites dans la hâte à l'aube... Suis-je trop négatif? Je ne pense pas. Les défis sont importants mais permettent à ma foi de s'incarner dans du très concret. Espoir?.... Bien sûr, sinon je n'aurais plus qu'à faire mes valises et à rentrer...

C'est à Thembalabasha - trois programmes pour des jeunes très défavorisés - que je passe le plus de temps. Je passe tous les après-midis au "shelter", c'est-à-dire au centre résidentiel où une dizaine d'adolescents essaient de mieux comprendre d'où ils viennent et comment ils peuvent ajuster leur comportement pour vivre au maximum le potentiel qu'ils portent en eux. Ils sont tous très attachants, mais qu'il est difficile de les libérer de leurs antécédants! La plupart n'ont pas connu de père, leurs modèles sont donc leurs aînés ... qui sont rarement des modèles.

J'ai du interrompre la rédaction de ce message après avoir "skypé" ma soeur aînée pendant une heure! Je reprends donc ce lundi à 13h00. Je viens de récupérer Thabang - presque 14 ans - un de nos jeunes du centre d'hébergement que nous avions renvoyé chez lui après qu'il ait commis une faute sérieuse il y a trois semaines. C'est le temps qu'il lui a fallu pour se retrouver une fois de plus à la rue. Je l'ai retrouvé saoûl de "colle". Il m'est tombé dans les bras sans aucune résistance et "cuve" pour l'instant son excès de colle. Il se conduira comme un ange pendant quelques semaines jusqu'à la prochaine pointe d'adrénaline! J'ai revécu "live" - une fois de plus - Luc chapître 15, 11 et suivants. Si vous avez une Bible à la maison, vous saurez de quoi je parle.

Nous avons une dizaine d'ados au centre d'hébergement. J'ai décris la plupart d'entre eux dans un précédent message. Il y a eu ces derniers mois des dévelopements très positifs. Certains des plus grands commencent à comprendre ce que nous pouvons vraiment leur offrir. J'ai commencé avec eux un "coaching" pour qu'ils deviennent les "hommes" dont Dieu rêve et dont le pays a vraiment besoin. Ils sont très réceptifs, particulièrement Sipho 18 ans et Thato 17 ans. Le travail de réhabilitation est un long travail de patience et d'amour... souvent décourageant.

Je dois admettre que je suis un peu débordé. Je suis bien aidé par Sybil au centre d'hébergement et par Smith au centre jour, mais pour l'administration, les comptes, les relations avec les bienfaiteurs, je suis seul car je ne peux me permettre d'engager plus de personnes. Je regrette de ne pas pouvoir leur donner plus de nouvelles. J'essaie de corriger ce problème...

Merci à tout ceux qui me soutiennent, par leurs prières, leurs messages d'encouragement ou par leur aide financière. Particulièrement le Rotary de Deinze en Belgique, la paroisse St Paul de Waterloo, l'association des femmes belges en Afrique du Sud et l'association des femmes irlandaises d'Afrique du Sud.


Quelques nouvelles

Presque six mois se sont écoulés depuis ma dernière communication. Six mois riches en événements, même si certains sont plutôt pénibles. En effet, pendant les trois premiers mois de 2009, trois prêtres catholiques ont été assassinés en Afrique du Sud. Un prêtre âgé a été retrouvé mort dans son appartement à Pietermaritzburg dans le KwaZulu Natal; en février, c'était un jeune prêtre d'un diocèse voisin du mien qui était assassiné par de jeunes hommes à qui il avait donné un “lift”. Mais l'estocade aura été pour nous tous, prêtres du diocèse de Johannesbourg, la mort du Père Lionel Sham, assassiné par deux jeunes, dont l'un – un ancien enfant de la rue – était bien connu du Père Lionel qui l'avait souvent aidé. Tous ces meurtres avaient pour unique motif le vol, très souvent de choses sans grande valeur marchande. Dans un pays où la richesse est très apparente, mais très mal distribuée malgré les lois favorables aux plus pauvres, beaucoup de jeunes n'ont rien à perdre, si ce n'est la vie pourtant si précieuse!

Un autre gros événement de ce début d'année a été l'élection du nouveau président d'Afrique du Sud. Jacob Zuma est l'heureux élu, sans surprise car il était le seul candidat de l'ANC qui reste le parti préféré de la majorité de la population. Pas de surprise mais quelques inquiétudes quand même, que vous partagerez sans doute avec moi si vous suivez la presse. Mais, d'une manière générale, il me faut rester positif et enthousiaste: l'ANC a quand même fait beaucoup pour redresser la situation créée par l'apartheid. Les gros défis restent malgré tout: un taux très élevé de criminalité, une pauvreté qui ne semble pas diminuer malgré les efforts du gouvernement, un enseignement en chute libre - surtout dans les townships et les squatter camps, un taux de chômage très élevé.

L'Afrique du Sud se prépare a recevoir la Coupe du Monde de football l'année prochaine. L'excitation est à son comble. Partout dans le pays, les routes sont en train d'être réparées, élargies, réorganisées... Il y a des travaux partout. On se croirait en Europe! Une ligne ferroviaire toute neuve est en construction entre l'aéroport international de Johannesbourg et Pretoria, en passant par le centre nerveux économique de Santon. Un genre de RER, en partie construit par le groupe français Bouygues.


Cela fait maintenant presque cinq ans que je suis curé d'un groupe de quatre communautés, dont la plus importante est celle de Lénasia – une communauté à dominante indienne. Les trois autres communautés sont composées d'africains, dont la plupart sont sans revenu sérieux. Je travaille beaucoup au rapprochement des deux communautés raciales, ce qui ne plaît pas toujours à tout le monde. Je suis entouré d'un groupe de chrétiens fervents et dynamiques qui réfléchissent et acceptent les défis de l'évangile. Malheureusement, ils sont souvent écrasés – et moi aussi d'ailleurs - par la majorité de ceux qui sont allergiques à quelque changement que ce soit. Le paternalisme, voire le racisme, est encore et toujours bien présent, malgré les 15 ans d'indépendance de l'apartheid.


Tout comme en Europe, il y a ici une crise très sérieuse des vocations. Contrairement aux autres pays africains, le sacerdoce ne procure pratiquement aucun statut, ni social ni économique. De plus, les communautés ont, depuis les temps de l'apartheid, pris l'habitude d'exiger les services plutôt que de collaborer à les produire, ce qui rend souvent la tâche du prêtre comme catalyseur de bonnes volontés très compliquée. Le célibat du prêtre est, comme partout ailleurs, un obstacle très important, qui, à mon avis, favorise les dérives sexuelles.


Cette crise des vocations, ainsi que la moyenne d'âge des prêtres se déplaçant de plus en plus vers le haut, ont sensiblement modifié les activités des prêtres. J'ai été nommé doyen d'un huitième du diocèse en début d'année. Cela veut dire que je suis responsable d'une quinzaine de prêtres, de leur productivité pastorale ainsi que de leur bien-être physique et spirituel. Cette fonction a ajouté à mon programme déjà bien chargé 16 réunions par an pour assurer la coordination entre l'évêque, les prêtres et les laïques de mon doyenné, ainsi que pour superviser et contrôler les obligations administratives des différentes paroisses.


Je viens aussi d'être élu directeur spirituel national d'un mouvement qui s'appelle YES, par manque de candidat plutôt que par mes qualités personnelles. C'est un mouvement qui organise des retraites surtout - mais pas seulement - pour les jeunes. Les retraites, ouvertes à toutes confessions religieuses, sont très dynamiques et favorisent la découverte de soi, la découverte des autres et finalement la découverte de Dieu. De nombreux jeunes parviennent, grâce à ces retraites, à exprimer les frustrations, voire les blessures profondes, produites par la relation abîmée, ou plus souvent le manque de relation, avec leurs parents. Le mouvement n'est actif que dans trois provinces, hélas très distantes les unes des autres, mais on travaille à son expansion.

Je continue ce soir...

jeudi 26 février 2009

Tapelo...

Mardi matin, une quinzaine de jeunes de la rue sont venus, comme à l'habitude, à la paroisse de Lénasia. Ils m'ont annoncé la grande mauvaise nouvelle: "tu ne verras plus Tapelo! Ils l'ont (littéralement) égorgé samedi soir dans une taverne!" Tapelo avait 22 ans (à ma droite sur la photo, celui qui me regarde). Je le connaissais depuis 5 ans, "un pro de la rue". Il avait déjà risqué sa vie il y a un an et demi lorsqu'il avait essayé de cambrioler une maison de Lenasia avec son ami Mpho. Celui-ci, un ancien du Shelter (centre d'hébergement), avait eu moins de chance. Il s'était fait attrapé et liquidé vite fait bien fait d'une balle de révolver au milieu du front, comme dans les mauvais films. C'est moi qui l'avait enterré dans le squatter camp où vit sa grand-mère. Il avait 17 ans!
Que s'est-il passé avec Tapelo, je l'apprendrai peut-être petit à petit. Je le connaissais bien. Je l'aimais bien, mais il vivait dangereusement! Il y en a beaucoup de ces jeunes qui ont choisi de vivre comme ça. Que faire pour rebobiner le cours de leur vie, pour effacer une partie du disque dur, et leur donner une nouvelle chance? Ils ont si peu d'espoir de s'en sortir. Ils savent que leur vie est précaire, mais ils préfèrent ne pas y penser.

Il est très difficile d'évaluer le travail que l'on fait avec les jeunes de la rue. Il faut parfois attendre des années avant de voir les fruits. Ainsi, je viens de recevoir des nouvelles de trois de mes anciens "street kids" de Tanzanie (1992-1997). prochainement je mettrai en ligne des extraits des trois lettres que j'ai reçues récemment. C'est encourageant, cela me donne la force de continuer...

A bientôt pour d'autres nouvelles.

lundi 16 février 2009

Update - mise à jour...

Mes bonnes résolutions de donner des nouvelles fréquentes n'auront pas donné grand-chose... Qu'à cela ne tienne, nouvel-an nouvelles résolutions! Cette fois je m'y tiendrai ;-)

Ma soeur Jeannine et et mon beau-frère Charles ont passé 5 semaines avec moi aux alentours de Noël. Cela n'a été pour moi que du bonheur. Partage de mon quotidien, confidences, encouragements... et bien sur un peu de Tourisme. Nous avons passé quelques jours au Cap, puis au Swaziland et enfin à St. Lucia, sur la Côte Nord-Est de l'Afrique du Sud. La veille de Noël, ils ont été très impressionnés de la situation précaire que connaissent Joseph et sa soeur (voir ci-dessous).

Depuis le début de l'année, j'ai été nommé Doyen de 17 paroisses. Cela veut dire que je suis responsable des prêtres qui y travaillent, et le président des trois "conseils décanaux" - pastoral, financier et prebytéral (les prêtres et les diacres) - qui doivent tous se réunir au moins 4 fois l'an pour coordonner l' activité. Je suis en plus supposé visiter les paroisses au moins une fois l'an et participer aux réunions que l'évêque organisera.

Je vis toujours à Lenasia, une paroisse en grosse partie indienne bien vivante juste au sud de Soweto. Il s'y passe beaucoup de choses et j'y suis très heureux, même si je dois souvent jouer au bras de fer avec des paroissiens très exigeants, voire parfois arrogants.

Je vous décrits ci-dessous, comme l'année passée, les jeunes du "shelter" (centre d'accueil) tels que je les vois aujourd'hui. Cela vous permettra de refaire connaissance avec ma petite famille.

Joseph a 17 ans. D'origine mozambicaine, son teint fort noir l'a toujours trahi et lui vaut continuelles brimades et moqueries de la part des autres. Il est arrivé à Thembalabasha il y a 4 ans, en faisant le mur à 10 heures du soir, car il s'était fait cruellement battre par son père pour avoir volé 1 rand du petit commerce de sa mère. Lorsque son père mourut, deux ans plus tard, il retourna chez sa mère. Mais lorsque celle-ci, à son tour très malade, décida de retourner au pays de ses ancêtres, Joseph, abandonné avec son petit frère et ses sœurs dans le squatter camp voisin du centre, décida finalement de revenir chez nous. A Noël, il insista pour aller visiter sa mère à Maputo (Mozambique). Il sentait sans doute que les jours de sa maman étaient comptés. A son retour, il n'a fréquenté que deux jours sa nouvelle école de menuiserie avant d'être rappelé au Mozambique pour enterrer sa mère. Lorsqu'il reviendra, il nous amènera sans doute son petit frère Ernest qui a prit de bien mauvaises habitudes depuis qu'il est laissé à lui-même.

Lindo, orphelin de mère et de père « inconnu », est le petit-fils d'un ancien bandit qui l'a « éduqué » de façon très légère jusqu'à ce qu'il décide de prendre sa liberté il y a sans doute 4 ans dans les rues de Lenasia où j'habite. Depuis deux ans il vit à Thembalabasha. Il vient de commencer, à 15 ans, sa 6ème année primaire dans une école de banlieue indienne (les traces de l'apartheid sont encore très présente en Afrique du Sud). D'un tempérament très colérique, Lindo a tous les réflexes du « tsotsi » (bandit des townships). Mais, derrière ses traits durs et masculins, il a un besoin énorme d'attention et de tendresse.

Patrick est arrivé à Johannesbourg il y a cinq ans avec son père, sa belle-mère et sa demi-sœur. Après un long voyage de Kinshasa via Lubumbashi, la famille n'eut d'autre choix que de dormir à l'abri d'une église du centre-ville. Mais le lendemain matin, Patrick se retrouvait seul et il n'a plus jamais revu son père depuis. Recueilli finalement par un malawien qui l'emmena chez sa femme sud-africaine, non loin de chez nous, Patrick n'a jamais été accepté par ses nouveaux frères. A Thembalabasha depuis plus de deux ans, Patrick a 16 ans et vient de commencer sa septième année primaire. Il parle plus ou moins couramment le Sotho (une des 12 langues officielles) et se débrouille bien en anglais. Il va falloir s'occuper très vite de lui faire obtenir un statut officiel, de crainte qu'à 18 ans, il ne se fasse attraper par la police et reconduire au Congo où il ne se sentirait plus chez lui.

Thabang a 13 ans. Il est le quatrième d'une famille de neuf enfants. Sa mère, souvent enceinte et toujours entourée de bambins, est ainsi tenue à la maison par un mari jaloux. Celui-ci ne vit que de petits boulots qui se terminent toujours trop vite. Les disputes parentales sont quotidiennes. Rien d'étonnant que dès l'âge de 8 ou 9 ans, Thabang préférait la rue, les « amis » et les narcotiques...  Il est vif et intelligent, mais très influençable et faible. Il terminera sa 7ème année primaire cette année avec un potentiel énorme pour bien réussir son secondaire et, pourquoi pas, l'université... Mais comment revenir en arrière? Comment effacer les effets néfastes de la vie de la rue? Comment le motiver pour qu'il donne le meilleur de lui-même? Si je pouvais en adopter ne fût-ce qu'un seul, Thabang serait sans nul doute celui-là.

Percy est en déficit constant d'affection et d'attention. Le moindre oubli le concernant est interprété par « Je ne suis pas aimé ». Il faut dire qu'il ne connait pas son père et que sa mère ne s'est jamais occupée de lui. Il a grandit chez une grand-mère dont le seul revenu est de faire la manche en ville. Tout un temps il déclarait que s'il pouvait tracer son père, il obtiendrait tout ce qu'il voulait de lui. Nous l'avons donc aidé à trouver son père. Mais lorsqu'il découvrit que son père fabriquait des bassines de tôle dans la rue, il perdit tout intérêt. A 16 ans, il vient de terminer l'école primaire, a été refusé à l'école secondaire à cause de son âge, mais vient de commencer une formation technique en  revêtement de fauteuil.

Sdumo, je le connais depuis le tout début du projet. Il avait alors 12 ou 13 ans. Éduqué par une mère et une grand-mère  alcooliques, il a vite fait de profiter de la situation pour faire l'école buissonnière, d'autant qu'il n'était pas spécialement doué pour les performances académiques. Son frère aîné nous a bien donné quelques espoirs... qui se sont hélas évanouis lorsqu'il participa à un des cambriolage de notre centre de jour. Le dernier essai scolaire de Sdumo se solda par un échec complet dans toutes les branches. Il quitta le centre sur un conflit concernant la détention d'un téléphone portable.

Thato est très « streetwise », rusé, sachant pour un temps adapter son comportement pour obtenir ce qu'il veut. Dans la même école que Sdumo, il n'a guère fait mieux que lui. Pourtant, il a beaucoup plus de moyens intellectuels. Mais, rejeté par une mère qui a fait de nombreux enfants un peu partout, il a appris à charmer les uns et les autres pour tenter d'obtenir, à prix modique, l'amour que tout un chacun est en droit d'espérer. Il a quitté le centre avec Sdumo, pour la même raison.

Sipho, 18 ans, je le connais aussi depuis longtemps. Sa mère le quitta il y a trois ans pour rejoindre un nième homme à Prétoria, à une centaine de kilomètres du township local. Pendant deux ans, il a réussi à continuer ses études jusqu'à passer son « grade 10 », malgré qu'il vivait seul dans le « shack » familial (espèce de cabane de tôles de plus ou moins 12 mètres carré), supporté irrégulièrement par sa mère qui lui versait une petite pension sur un compte en banque. Mais lorsqu'ils ont quitté Thembalabasha, Sdumo et Thato se sont incrustés chez lui, ce qui lui a valu de rater son « grade 11 ». Aujourd'hui, Sipho, ainsi que Sdumo et Thato, ont (ré-)intégré le centre pour un nouveau départ. Sipho est très doué en dessin et commencera sous peu une formation artistique qui pourrait lui donner des chances réelles dans la vie. Quant à Sdumo et Thato, ils ont entrepris une formation en menuiserie au centre de formation de la paroisse voisine.

Fish – alias « Doctor » - est un jeune de 15 ans. Il est arrivé à Thembalabasha cette année avec Sipho. Lorsque je l'ai connu, il avait à peine onze ans. Il vivait alors avec sa mère et sa petite sœur dans un « shack » de 9 mètres carré. Lorsque sa mère mourut, nous avons perdu contact avec lui. Son grand-père le prit sous sa garde. Récemment, Fish a demandé à Thembalabasha de l'accepter, car la vie avec un grand-père, qui n'est intéressé que par l'argent de l'allocation que le gouvernement lui donne pour sa garde, est devenue impossible. Il aurait accusé Fish – 15 ans – de « dormir » avec sa femme, c'est-à-dire sa grand-mère! Nous sommes pour le moment en conflit avec le grand-père qui refuse de nous abandonner Fish – ou plutôt l'allocation. Fish fait ce qu'il peut en « grade 10 ». Il a un certain potentiel, mais l'école qu'il a fréquenté jusqu'à présent ne lui a malheureusement pas donné les bases nécessaires pour espérer des résultats mirobolants dans une école « normale ».

Katleho est le petit dernier. Recruté dans les rues de Lenasia, il a à peine 12 ans. Lorsque nous lui avons proposé de rejoindre Thembalabasha, il a accepté tout de suite. Sa mère apparemment l'aime beaucoup, mais ne sait pas y faire. Son père biologique le battait, car l'enfant était « différent ». Lorsqu'il montra des signes de faiblesses éducationnelles, il fut placé dans une école spéciale, avec comme langue principale l'Afrikaans car c'était la seule école spéciale disponible dans les environs. Il n'en fallût pas plus pour que Katleho tente sa chance dans la rue. Aujourd'hui, il est en quatrième année primaire en anglais et à l'essai. Il ne sait pas encore lire et écrire, mais nous faisons de gros efforts pour qu'il s'en sorte. C'est un enfant adorable qui reçoit l'amour au compte-goutte, jouissant des moindres signes de tendresse. Il est un peu hyper-actif, ce qui énerve les plus grands.

Tout ce petit monde vit en permanence dans notre centre d'accueil de Thembalabasha et me tient très occupé, avec souvent des imprévus qui perturbent mon quotidien déjà lourdement chargé.

Vous me demanderez sans doute des nouvelles des trois autres. Je prends donc les devants. Tshepo est retourné vivre chez sa maman. Il est en quatrième année d'humanité et se débrouille plutôt bien. Quant à Smanga et Lisoetsa, ils ont quitté le centre. Trop exigeant sans doute, ils préfèrent la liberté de la rue. Je ne vois plus Smanga, mais je rencontre Lisoetsa presque tous les jours dans les rues de Lenasia. Il est toujours très heureux de me voir. Que faire?...

Le centre d'accueil de jour, après avoir connu une crise sans précédent au début de l'année 2008, a été réorganisé par un collaborateur congolais, Smith Kiluba, et fonctionne aujourd'hui très bien, accueillant tous les jours des jeunes de milieu très défavorisé. Il y organise du soutien scolaire, de l'éducation aux valeurs chrétiennes et humaines, de la créativité et du sport; Nous devrions sous peu créer un centre de formation technique destiné aux jeunes en rupture scolaire.

In extremis, je vous souhaite une très heureuse année 2009. Merci à tous ceux qui m'ont témoigné soutien et solidarité.