vendredi 9 juillet 2010

Expérience inoubliable...


Alors que vous vous prépariez à regarder le match Hollande-Uruguay mardi dernier, un scénario peu agréable se déroulait à "phase 1", le centre d'hébergement de TYC. Ils étaient trois ce soir-là - deux jeunes et l'éducateur de nuit - à attendre le quatrième qui travaille jusque vers 8h du soir dans un take-away de Lenasia South. C'est pourquoi ils n'avaient pas mis le cadenas sur le portail d'entrée du centre et qu'ils avaient laissé la grille de sécurité de la porte d'entrée ouverte. Peu de temps avant le coup d'envoi du match, ils entendent la porte d'entrée mais ne reconnaissent pas le pas de Patrick. Et pour cause! Ils se retrouvent face à trois hommes jeunes, armés d'un revolver, qui leur ordonnent de se coucher par terre, figure contre le sol. Ils n'ont d'autre choix que de s'exécuter et bientôt, ils sont ligotés, pieds et mains, au moyen de lacets et de câbles électriques, et recouverts de taies d'oreiller pour qu'ils ne puissent pas reconnaître leurs agresseurs.

Entretemps, Patrick arrive et, surpris par les trois visiteurs, subit le même sort que les autres. Ils seront fouillés, dépouillés de l'argent qu'ils pouvaient avoir sur eux. L'éducateur venait d'être payé pour deux semaines de travail (environ 100 euros) et surtout il avait les clés du centre auxquelles les agresseurs s'intéressaient tout particulièrement. Ils étaient persuadés qu'il existait un coffre-fort, dans le bureau, et donc ils voulaient les clés du bureau... que l'éducateur Ronald n'avait pas. Ils y rentreront quand même en cassant une fenêtre et sa grille de sécurité. Une voiture les attendaient dehors. Ils ont pris tout ce qu'ils pouvaient: TV, décodeur, stéréo, équipement électroménager, le GSM de Ronald, vêtements, outils, toutes les réserves de nourriture, des boîtes entières de bonbons et chocolats que je vends aux jeunes contre l'argent de poche qu'ils reçoivent virtuellement...

Lorsque la voiture fut remplie, ils ont quitté mais pour revenir une demi-heure plus tard, sans doute pour prendre le reste, ordinateurs, frigos, etc. Mais entretemps les jeunes s'étaient libérés de leurs liens et se sont presque retrouvés nez à nez avec les bandits qui revenaient chercher le reste. Mais ceux-ci se sont enfuis à la vue de leurs victimes en liberté. Cependant, Ronald a eu l'idée bizarre de fermer la grille de sécurité de la maison en voyant les bandits (elle se ferme sans clé) et voilà nos quatre jeunes à l'extérieur, dans la nuit glaciale, sans clé pour rentrer dans la maison ni GSM pour appeler les secours. Ils finiront par faire le mur du projet d'à côté pour demander de l'aide au concierge.

Et c'est donc vers une heure du matin que je reçois un appel de l'éducatrice "Auntie" pour m'annoncer la mauvaise nouvelle. Je venais juste de me mettre au lit et me voilà reparti en compagnie du fidèle Julias, le concierge de la paroisse. Prenant Auntie au passage, nous sommes arrivés au centre où les policiers, arrivés dans six voitures différentes, s'affairaient (pas trop quand même) à prendre les dépositions et à relever les empreintes digitales. Un feu de bois avait été allumé près des douches et c'est là qu'Auntie a eu le choc de sa vie. Nous n'avions pas encore vu Thabang, 14 ans, or près du feu se trouvait un corps complètement recouvert d'une couverture. Elle a tout de suite imaginé le pire... mais Thabang dormait... Ouf! Beaucoup de coups de pieds et de crosses de révolver, beaucoup de brimades, mais pas de victime, grâce à Dieu! Thabang nous le dira, lui qui est le moins "religieux" du groupe, alors qu'il gisait par terre, pieds et mains liés, il... priait de tout son cœur pour que "le" drame ne se produise pas. Bilan des pertes: deux mille euros, au bas mot.

A quatre heures du matin, je repars avec Auntie et Julias, ainsi que les deux plus jeunes qui dormiront à la paroisse. A 8h du matin, j'avais un rendez-vous que je ne pouvais pas remettre. Je n'ai donc pu dormir que deux heures. A mon retour, j'ai réveillé mes deux gars, préparé le petit déjeuné et nous voilà repartis pour réparer les dégâts, changer les serrures, redresser et ressouder les barres de sécurité forcées, faire le ménage, etc. Donovan, le fils de mon fidèle ami indien Brian, nous accompagne avec son groupe de soudure et surtout ses talents indéniables de DIY. Les jeunes mettent la main à la pâte, l'ambiance est bonne, on raconte l'événement de la veille, les détails sortent et, bientôt on a une idée plus ou moins claire de qui a fait le coup. La police ne nous aidera sans doute pas beaucoup, mais d'ores et déjà, on sait que les agresseurs sont liés à Bigboy, un ancien du centre, dont le petit frère est un de nos pensionnaires ordinaires. Heureusement, les plus jeunes étaient "en vacances" à la maison. Ils reviennent ce lundi, pour reprendre l'école mercredi.

L'Afrique du Sud a très bien géré la coupe du monde, mais pour le commun des mortels, la vie reste très précaire. Que va-t-il se passer après le 11 juillet?

Amitiés.

mardi 29 juin 2010

Le "mondial" continue... avec et en Afrique!

La dernière fois que j'ai mis les pieds dans un stade de foot - et d'ailleurs la seule fois - c'était à l'Union St Gilloise en 1974, si je me souviens bien. Et bien, tenez-vous bien, ces deux derniers jours j'ai eu la grande chance d'assister à deux "huitième de finale" dans les deux grands stades de Johannesbourg: dimanche soir à "Soccer City", un stade de grande classe, pour le match Argentine-Mexique, et lundi soir à Ellis Park, le stade historique où a eu lieu la finale de la Coupe du Monde de Rugby en 1996 (victoire de l'Afrique du Sud - cfr le film 'Invictus'), pour le match Brésil-Chili.

Le Sud du globe n'a décidément plus rien à envier au Nord. Je suis très fier de la victoire de Bafana Bafana contre la France, même si elle n'a pas suffit pour amener l'Afrique du Sud en 1/8. Et le match de samedi soir Ghana-USA, quel beau foot, quelle belle victoire. Et puis, ces deux derniers jours, le Sud encore et toujours... Anecdote, une demi heure avant la fin du match Argentine-Mexique, alors que les esprits commençaient à s'échauffer, des policiers style "robocops" sont arrivés et se sont placés entre le terrain et les tribunes, face aux supporters... qui se sont calmés illico... Eisch, personne n'avait vraiment envie de tester l'humour des policiers, surtout qu'ils avaient l'air vraiment sortis d'ailleurs. Autre anecdote... les Vuvuzelas. En fait, dans le stade, ce n'est pas vraiment dérangeant, sauf si le supporter assis derrière vous a un souffle d'enfer! Vous la connaissez peut-être déjà, sinon dégustez la: "Un Sud-Africain à un Français : Vuvuzanalé déjà ?"

L'organisation est impeccable, une sécurité à toute épreuve mais avec le sourire, une ambiance géniale, des moyens de transport efficaces et agréables... L'Afrique du Sud excelle incontestablement comme hôte du monde entier. "Ke nako" - le temps est arrivé de démontrer que l'Afrique est un partenaire sérieux dans le monde.

Vous êtes sans doute submergés de photos de la Coupe du Monde, mais mes photos, elles, sont authentiques. Ce sont les miennes quoi, alors jetez-y un coup d'oeil au match de Soccer City et à celui de Ellis Park.

Amitiés et bonnes vacances.

mercredi 2 juin 2010

Toute l'Afrique du Sud est en fièvre...

The freezing June Fever

Eh oui, à la veille du "kick off", l'Afrique du Sud est en fièvre. "You can feel the vibe everywhere!" Les drapeaux sud-africains flottent partout, souvent alignés aux  drapeaux des autres pays sélectionnés pour la Coupe du Monde de football. Une voiture sur dix au moins arbore les couleurs nationales, tantôt érigées à la fenêtre arrière des véhicules, ou alors le long de leur antenne radio ou derrière le pare-brise. Toutes les écoles, les cliniques, les bâtiments municipaux, les églises, ainsi que nombre de maisons privées indiquent ainsi que le "Mondial 2010" peut commencer. Les pronostics? A dire vrai, l'Afrique du Sud a peu de chances de dépasser la première phase de la compétition, et pourtant nombreux sont ceux qui veulent y croire, moi y compris! Après tout je suis missionnaire, je me dois d'être solidaire du rêve qui habite chaque sud-africain... noir, car pour les indiens et les blancs, leurs idoles ont toujours été et seront toujours la Grande-Bretagne, l'Espagne, le Brésil... Quant aux préparatifs, ils sont impressionnants: les stades sont prêts, la modernisation des routes est en gros terminée, le RER version Johannesbourg sera en service dans quelques jours, les nouveaux hôtels n'attendent que les visiteurs, la vie n'a jamais été aussi chère... bref, tout est prêt! A moins que les syndicats ne manquent tellement de patriotisme qu'ils continuent leurs grèves paralysantes jusque et pendant la fête. Ce ne serait pas très "africain", mais en Afrique du Sud, on peut s'attendre à tout.

Espoir pour les boys de Thembalabasha

Les congés scolaires ont été avancés pour l'occasion, ce qui veut dire que les jeunes de Thembalabasha sont en examens pour l'instant. Tout a l'air d'aller plus ou moins bien. Thabang est toujours aussi dissipé. Il a réussi à se faire éjecter du transport d'écolier que nous payons chaque mois très cher. Il doit donc aller à l'école en "taxi" (c'est-à-dire en transport en commun par mini-bus), ce qui coûte encore plus cher, mais qui l'arrange car il est plus libre de faire ce qu'il veut, y compris de marcher pour épargner le coût du voyage. Il nous reste six mois pour déclencher chez lui un début substantiel de maturité. Après cela, il sera seul pour dessiner son avenir! J'ai commencé à leur parler de mon départ à la fin de l'année et de la fermeture du centre d'accueil. Ils n'expriment pas trop encore ce qu'ils pensent. Et pourtant Lindo, un des caïds du groupe, qui se conduit plus ou moins bien, a éclaté en sanglots alors qu'il donnait un témoignage de sa vie lors d'un YES weekend, tellement que j'ai dû sortir avec lui. Le questionnant sur les raisons de son émotion, il m'a dit qu'il avait soudainement pensé à la fin de l'année... Grande gueule, petit cœur! Ils sont tous comme ça à Thembalabasha, en manque d'amour réel, en quête de direction.

Comme les feuilles à l'automne, les jours s'envolent

Le temps passe très vite, trop vite! Comment se débrouilleront-ils lorsqu'ils seront de retour dans leurs structures familiales si fragiles, eux qui les ont désertées il y a quelques années pour tenter leur chance dans la rue? Mais les choses ont changé, ils se savent aimés, appréciés, capables de plus... Et nous avons travaillé les familles qui, elles aussi, ont vécu une expérience de solidarité et d'encouragements. "Auntie" (= tante), l'éducatrice cum assistante sociale cum préceptrice cum cuisinière (depuis deux mois) continuera à les suivre de plus ou moins près ou loin. Ce sera dur pour elle aussi de me voir partir, même si je réapparaîtrai ça et là au besoin.

Un weekend prophétique - Acte I

Le fameux YES weekend où Lindo a fondu en larmes fut fabuleux! Une paroisse de Prétoria Nord (95% de blancs) a fait appel à YES (Youth Encounter Spirit), mouvement duquel je suis aumônier national, pour animer leur retraîte de confirmation. Le programme est excellent: rencontre avec soi-même (qu'est-ce qu'une personne, un homme, une femme, respect de soi), rencontre avec les personnes proches (amis, frères et sœurs, mère et père), rencontre avec Dieu, le programme cherche à réconcilier chaque jeune dans ses relations souvent ombragées par la dure réalité de la vie, et ce à travers des témoignages et des partages de vie dans de petites équipes que nous appelons "familles". En plus des animateurs adultes, l'équipe est aussi composées de jeunes animateurs "incognitos" que nous plaçons au sein des "familles". Ironiquement pour ces blancs (une cinquantaine de jeunes de 15 à 18 ans) qui se croient tellement supérieurs, tous les animateurs étaient indiens, métisses ou noirs. J'étais la seule exception... pour confirmer la règle.

Un weekend prophétique - Acte II

La fête de la Pentecôte à Lenasia fut aussi un des moments forts de l'année. Les quatre communautés de notre paroisse étaient convoquées au Centre Civique de Lenasia, car aucune de nos églises n'aurait pu contenir le grand nombre de paroissiens. Les trois communautés plutôt "noires" étaient assez bien au complet. Quant aux Indiens, un tiers, peut-être un quart de la communauté a répondu à l'appel. Les autres... ont fait l'impasse ou sont aller prier ailleurs plutôt que de devoir se fondre dans une énorme communauté noire. Il faut dire aussi que la célébration allait durer de 9h du matin jusque vers 4h de l'après-midi. Mais quelle fête! Vingt-deux baptêmes d'enfants, une dizaine de baptêmes d'ados, et une dizaine de confimation de jeunes adultes. Nous avons commencé par une bonne heure et demi de confessions souvent très émouvantes (certains ne s'étaient plus confessés depuis très très longtemps), pendant que, dans la salle principale, la foule louait Dieu par des chants variés, en anglais, en afrikaans, en zoulou et en southou. A la fin de la messe (vers 2h30), cohue générale car les estomacs s'étaient bien creusés pendant la matinée. Les quatre agneaux, à la broche depuis 6h du matin, ont été avalés en un temps record et les énormes casseroles de nourriture préparée par les différentes communautés ont été partagées dans la joie et la fraternité. Les uns et les autres ont alors présenté quelques scènettes avant que le gâteau d'anniversaire de l'Eglise ne soit apporté et les bougies soufflées. Il était 4h30 de l'après-midi, temps pour tout le monde de rentrer à la maison.

Des joies et des défis

Les élus au Chapître Général des Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs) se tient pour l'instant à Rome. Il a lieu tous les six ans. Le nouveau supérieur général vient d'y être élu. Il s'agit, pour la première fois, d'un africain, Richard Baawobr, un ghanéen qui a été mon voisin de chambre à Totteridge (Londres) pendant deux ans lorsque j'étudiais la théologie. Je me réjouis de ce choix, car je connais l'homme qui est tout plein d'intelligence et de fraternité. Il y a deux semaines, le Père Guido, qui partageait, à Diepsloet, la vie de Louis Blondel assassiné en décembre dernier, a eu un AVC pendant la messe dominicale. Il se remet doucement mais reste paralysé jusqu'à présent du côté droit. Il recommence à parler, dans toutes les langues qu'il connait, mais semble encore avoir des difficultés à mettre les mots ensemble pour vraiment exprimer ses idées. Le Père Mathieu, avec qui je partage la charge de Lenasia, est parti en congé vendredi passé. Il reviendra le 2 août. En attendant, je suis seul pour assûmer la responsabilité des quatre paroisses.

En union de prières avec vous

Je suis, avec intérêt, les péripécies politiques de la Belgique. Bientôt vous vous rendrez aux urnes pour décider de l'avenir politico-linguistico-economico-social de notre petit pays. Je suis en communion avec vous pendant ce moment difficile. Entretemps, vous suivrez sans doute par les médias, que vous le vouliez ou non, les progrès du "Mondial" ici en Afrique du Sud. Ainsi, nous resterons unis pendant tout le mois de juin comme si nous vivions juste côte à côte, à quelques dix mille kilomètres de distance. Le monde est vraiment devenu un village.

Amitiés,

Philippe

mercredi 14 avril 2010

Heureuse saison de Pâques

Je vous souhaite à tous une très heureuse saison pascale. Le Christ est ressuscité des morts, nous entraînant avec lui à recevoir la liberté des enfants de Dieu. Liberté de tout ce que le "monde" invente au quotidien pour nous distraire de notre vraie vocation: construire le monde dont Dieu rêve, un monde de respect et d'amitié, de paix et de justice, dans lequel tout un chacun se reconnaîtra comme enfant de Dieu - enfant de la Vie si vous préférez - et pourra déballer les talents qu'il a reçus pour contribuer à la re-création du monde.

Au milieu de toutes les informations contradictoires, je reste humblement attaché au Christ et à l'Eglise dont la mission première et unique est de Le proclamer vivant et agissant au milieu des hommes et des femmes d'aujourd'hui qui voudront bien s'ouvrir à Sa grâce.

Les célébrations de la Semaine Sainte dans nos quatre églises furent très intenses. A Lenasia, ce sont les dix membres du Conseil Pastoral qui ont accueilli les fidèles en leur proposant un lavement des pieds avant même qu'ils soient rentrés dans l'église. Un geste d'humilité pour les uns comme pour les autres, un geste de service et d'engagement. Vicki expliquera pendant le debriefing que, s'abaissant devant chaque personne,  elle priait personnellement pour chacun et chacune tout en lavant leurs pieds avec soin avant de finalement les baiser. Une expérience inconfortable pour beaucoup, ce geste - refusé par certains - mit l'accent sur l'aujourd'hui de la passion du Christ, le concret du salut apporté par sa mort et sa résurrection.

Le weekend d'avant, alors qu'on célébrait le dimanche des rameaux, les jeunes de toute la paroisse, communautés confondues, déambulaient dans les rues de Lenasia avec une croix grandeur presque nature, ainsi que des bannières exprimant leur foi en Jésus et leur respect pour la croix - ils en sont tantôt les victimes, tantôt les bourreaux - une croix somptueusement décorée de roses blanches et rouges, aux chants variés en anglais, en sotho et en zulu. Les jeunes noirs, qui depuis les temps mémorables de l'apartheid ont l'habitude du "toytoy" politique (ils avancent en rangs en dansant d'une manière saccadée en lançant des slogans politiques), ont inauguré le "toytoy pour Jésus", exprimant ainsi leur attachement à Celui qui reste pour eux le modèle unique d'une vie consacrée au rêve du Créateur.

Vendredi Saint, la même croix, denuée de sa décoration florale, était amenée pendant l'office de 15h et déposée devant l'autel. Les fidèles furent invités à venir vénérer la croix, huit ou dix à la fois, passant autant de temps qu'ils le voulaient auprès de la croix, alors qu'ils prenaient conscience du geste libérateur de Jésus, mais aussi de leur participation, soit par les souffrances qu'ils endurent au nom de la Vie, soit par les souffrances qu'ils infligent aux autres par leurs choix et leurs décisions. Une célébration de plus de trois heures, extrêmement touchante, une véritable leçon d'humilité, pour moi et pour beaucoup!

La veillée pascale eut lieu dans trois communautés et de nombreux baptêmes d'adultes - au terme d'au moins 15 mois de préparation - furent célébrés. A Lenasia, ce sont 4 adultes qui ont répondu personnellement "Je crois" aux trois questions fondamentales de la foi avant d'être plongés dans une énorme bassine d'eau plutôt froide. La bassine - devenue "fonts baptismaux" pour l'occasion - avait été remplie, juste avant le baptême, par une trentaine de fidèles de toutes conditions (hommes, femmes, jeunes, enfants, riches, pauvres, noirs, bruns, ...), le symbole de la responsabilité de la communauté d'accueillir en son sein de nouveaux membres. Haut lieu de l'initiation chrétienne, le veillée pascale est très haute en couleur. La joie s'exprime dans les chants, les danses, le geste de paix, l'accueil des nouveaux baptisés... A Saint Kizito, dans une partie de Lénasia qui a une population noire très dense, les chrétiens ont continué à célébrer dans l'église pendant toute la nuit, jusqu'au lever du soleil où ils ont célébré la messe de Pâques, luttant contre le sommeil pour proclamer que le Christ est ressuscité!

Prochaine grande célébration: la Pentecôte que nous célébrerons au "Centre Civique" de Lenasia, car aucune de nos églises n'est assez grande pour contenir les quatre communautés ensemble. Nous y célébrerons la venue de l'Esprit Saint, la présence de Dieu dans l'Eglise qui est supposée nous permettre de déjà vivre le rêve de Dieu. Concrêtement, après un long temps de réconciliation avec Dieu, nous aurons la messe pendant laquelle des bébés et quelques jeunes ados seront baptisés, ainsi que quelques jeunes adultes confirmés, après quoi, nous célèbrerons notre "communion" dans nos différences. Chaque communauté apportera les mets les plus culturels et les plus délicieux à partager avec les autres cultures. Après le repas, les différents groupes de jeunes et d'enfants - ainsi que les adultes s'ils parviennent à se décoincer - présenteront de petits spectacles culturels (selon leurs traditions ou selon leur âge). Cette "communion" reste difficile en Afrique du Sud. L'an passé, alors que tous les noirs étaient présents, seulement un quart de la communauté indienne était présente. L'évangélisation continue, et j'espère augmenter les statistiques à la moitié de la communauté cette année.

Peu de temps après mon retour de vacances, le supérieur des Pères Blancs en Afrique du Sud m'a fait part d'une demande spéciale venue du Supérieur Général à Rome. Il m'expliqua que le centre de formation des Pères Blancs à Merryvale (Afrique du Sud - Kwa Zulu Natal) avait besoin d'un formateur pour faire équipe avec deux autres formateurs, car l'actuel troisième était appelé en juin à devenir recteur d'un autre centre de formation à Kinshasa. Notre formation dure 10 ans après la fin des humanités (trois ans de philosophie, un an de spiritualité, deux ans de stage et enfin, quatre années de théologie). Merryvale est un des centres de cette dernière phase de formation (les quatre années de théologie). Le centre a été inauguré il y a deux ans et accueille pour l'instant une dizaine d'étudiants presque tous africains (aucun sud-africain hélas). Mais il pourra accueillir à terme jusqu'à 45 étudiants. Ils étudient à Cédara, un consortium théologique auquel participent plusieurs sociétés religieuses ainsi que les différents diocèses d'Afrique du Sud.

Vous vous doutez déjà de la suite... Le supérieur général m'a demandé d'accepter de remplacer le confrère qui s'en va à Kinshasa. Je devrais aussi devenir responsable d'une paroisse proche de Merryvale, dans un township, afin de donner aux étudiants un lieu où ils peuvent, les weekends, mettre en pratique ce qu'ils apprennent la semaine.

J'étais loin de m'attendre à une telle demande. J'ai beaucoup mûri comme prêtre à Lenasia, où j'ai fait l'expérience de ce qu'il y a probablement de meilleur en termes de collaboration avec les laïques, mais aussi de ce qu'il y a de pire en termes d'opposition de la part d'autres laïques. Mais, d'une manière générale, je me plais à Lénasia, même si les défis sont très fréquents. Et qu'adviendrait-il de mon projet si je devais partir? Moins dramatique, mais à mettre dans l'équation, sont ma fonction de doyen ainsi que mon rôle comme aumonier national de l'association "Youth Encounter Spirit". Un défi important est aussi le zulu. Car, dire la messe en zulu et utiliser le zulu occasionnellement entre deux phrases en anglais est une chose, mais fonctionner complètement en zulu dans une paroisse qui ne connait sans doute que très peu d'anglais en est une autre.

Tout en méditant sur tout cela, mon instinct m'a poussé à comprendre que la demande de mes supérieurs représentait un intérêt supérieur pour la Mission, et j'ai donc accepté la nomination pour Janvier 2011. J'ai passé presque six ans à Lenasia et l'assurance qu'un confrère m'y remplacera me donne la paix. Quant à mon projet, il était temps, de toutes façons, de réfléchir au futur, car économiquement, il ne deviendrait sans doute jamais viable.

Au centre d'accueil de Thembalabasha, je n'ai donc accepté aucun "nouveau" malgré les possibilités et les demandes. Il n'est pas pensable de continuer le projet si je suis à 500 kilomètres. Les problèmes sont trop fréquents, les résultats trop difficiles à obtenir, et les éducateurs trop fragiles. La situation économique du pays est en train de changer d'une manière dramatique. Le prix du transport en commun vient d'augmenter de 75%, le prix de l'électricité et de l'eau doublera de prix endéans les deux ans (33% d'augmentation récemment), l'augmentation très sensible du carburant a entraîné immédiatement une augmentation effrayante dans le secteur de l'alimentation, l'événement Mundial 2010 provoquera lui aussi une augmentation des prix dans tous les secteurs...

Politiquement, le malaise existant depuis déjà pas mal de temps est en train de se polariser sur un racisme récurrent, prôné par des figures politiques ayant la cote parmi la population noire. Vous avez sans doute lu dans la presse les extravagances du Président de la branche des "Jeunes" de l'ANC (le parti au pouvoir), un certain Malema. Dans toutes les réunions politiques avec la jeunesse universitaire, il chantait un chant du temps de la résistance anti-apartheid appelant à "tuer les boers". Le président Zuma lui-même chantait pendant sa campagne "Leta mshini wami" (donnez-moi ma mitraillette). Sachant que quelques trois mille fermiers blancs ont été assasinés depuis 1994, et que de nouveaux meurtres sont quasi hebdomadaires, la situation devient de plus en plus inquiétante. Même si, récemment, Malema a reçu de son parti l'instruction de ne plus chanter ce chant, le mal est fait, et le rêve de réconciliation de Mandela a été sérieusement ébranlé. Les jeunes du centre ne sont pas à l'abri d'une telle propagante et n'ont pas la maturité pour faire la différence.

L'avenir de Thembalabasha n'est pas encore complètement décidé. Mais ce qui se passera sans doute est que le centre d'accueil sera fermé et les sept jeunes qui y sont encore seront progressivement réhabilités dans leurs familles respectives. L'éducatrice continuera à suivre régulièrement leurs progrès et évaluera les besoins économiques nécessaires pour qu'ils continuent leurs études. Tant que possible, je continuerai à payer les frais scolaires (minerval, uniformes, fournitures, transport, voyages scolaires), ainsi qu'une assistance alimentaire pour ceux qui en auront vraiment besoin. Au centre de jour, Thembalabasha fusionnera peut-être avec un autre projet qui s'occupe des enfants provenant de parents victimes du sida. Pour le moment, ce projet nourrit et suit scolairement environ 200 enfants et jeunes adolescents. Le centre pourrait aussi devenir un lieu d'études pour les élèves d'humanités. Beaucoup d'entre eux n'ont pas, dans le squatter camp, d'endroit adapté à l'étude après l'école. Ils n'ont aucun accès à Internet alors que les écoles font de plus en plus appel à cette technologie, sans en fournir l'accès.

Voilà, j'avais beaucoup à dire. C'est pourquoi cela m'a pris beaucoup de temps avant de coucher sur papier - en fait sur l'écran - ces nouvelles.

Entretemps, de nombreux amis continuent à supporter économiquement et par la prière mes projets. Je les remercie du fonds du coeur. Un merci tout spécial à la paroisse Saint Paul de Waterloo qui m'a adopté comme missionnaire. Merci aux six mamans qui ont organisé un concert au profit de Thembalabasha, merci à Jean-Philippe de courir le Marathon à Paris pour mes projets. Pardon de ne pas vous donner plus fréquemment de mes nouvelles. Le temps passe trop vite et les quelques temps libres dont je jouis n'ont souvent d'autre fonction que de recharger mes batteries.

Recevez toute mon amitié.