mercredi 17 juin 2009

16 Juin, jour mémorable

Le 16 juin 1976, les écoliers de Soweto sortent dans la rue pour protester contre l'obligation du gouvernement de l'apartheid d'utiliser l'Afrikaans comme médium d'enseignement dans les écoles bantoues. Un bras de fer entre le gouvernement et la jeunesse noire s'en suivit, résultant de la mort de nombreux jeunes. Ce jour mémorable a certainement marqué le début de la fin du régime de l'apartheid. Aujourd'hui, on célèbre le 16 juin comme "Journée de la Jeunesse". Mais pour vraiment donner une chance à la majorité des jeunes des townships, il faudra améliorer l'enseignement, retrouver des valeurs humaines solides, développer les opportunités d'emploi et, avant tout, entourer les jeunes de l'amitié nécessaire à leur développement humain. C'est ce que nous tentons de faire au centre d'accueil de Thembalabasha.

Jason a 18 ans. Nous l'avons connu lorsqu'il en avait 14. Il vivait avec son petit frère dans le shack (cabane de tôles) que leur père avait déserté pour vivre avec sa nouvelle femme. Celle-ci ne voulait pas des enfants du marriage précédant dans sa maison. Jason ne faisait que passer chez son père pour prendre la nourriture que le nouveau couple voulait bien leur donner tous les jours. Mais cette situation ne pouvait durer et le conflit entre Jason et sa nouvelle "belle-mère" - et donc avec son père - s'amplifia rapidement, ce qui amena Jason à prendre le chemin de la rue... et de la drogue. Jason a passé plusieurs séjours à Thembalabasha, toujours très instable, montrant un idéal spirituel très profond - espoir d'une intervention divine presque magique - ce qui le rendait très attachant. Mais il n'a jamais vraiment réussi à vaincre la frustration du rejet de celui qui lui avait donné la vie. Après son premier séjour à la prison des jeunes de Bosasa, je lui ai donné l'argent nécessaire pour qu'il puisse aller à la recherche de sa mère biologique. C'était il y a un an et demi. Depuis une dizaine de jours, il m'a téléphoné au moins cinq fois de la prison de Leeukop à Bryanston (au nord de Johannesbourg). Il voulait que j'aille le visiter le 16 juin, car depuis presque un an qu'il est emprisonné, il ne reçoit aucune visite.

Hier matin, j'ai confié les 8 adolescents du Centre d'accueil à Clémence, une jeune femme française, amie du centre. Elle a passé la journée avec eux à Gold Reef City Theme Park (le Walibi / Disneyworld de Johanesbourg). Ainsi, j'étais libre pour aller visiter Jason. Accompagné de deux de mes collaborateurs, l'éducatrice noire "Antie" et mon ami fidèle indien Brian - qui est aussi le président de l'association Thembalabasha - nous sommes arrivés à la prison à 10h. Il s'agit d'une propriété énorme, dans laquelle il y a je pense 6 centres pénitenciaires. Une queue de 150 mètres nous accueillait pour attendre le bus qui devait nous transporter en haut de la colline au centre "Medium B" où est emprisonné Jason. Le bus - style taxi brousse remplit au maximum - nous y a finalement déposé à 11h30, une heure trente après que nous soyons arrivés au bas de la colline. Pour rentrer dans le centre pénitenciaire lui-même, nous avons du passer à la fouille manuelle. GSM, cigarettes, limonades et certains types de nourritures ne peuvent y entrer. Nous avions laissé nos GSM dans la voiture, mais Brian a du abandonné ses cigarettes (qu'il n'a pas retrouvées à la sortie) et j'ai du abandonné les limonades (que j'ai retrouvées à la sortie). Une aventure quelque peu humiliante, il faut dire.

C'était un "family day", à l'occasion du 16 juin. Il y avait un monde fou. les jeunes prisonniers étaient regroupés sur un terrain d'à peu près 50 mètres sur 50. Mille deux cents jeunes, dont probablement un quart avec leurs familles. Pas vraiment d'espace pour un peu d'intimité! Jason était très heureux de nous revoir. Le même Jason avec ses aspirations spirituelles. Il est condamné à trois ans, mais pourrait sortir dans deux mois si son père s'engage à le contrôler... mais celui-ci ne répond pas aux lettres de Jason. Il m'a remis une lettre à lire quand je serais de retour chez moi. Sa lettre exprime ses regrets et me remercie pour ce que je fais... Il me demande d'essayer de retrouver son père! J'ai retrouvé deux autres jeunes au même endroit. L'un d'eux est un jeune que j'ai connu dans la rue à Lenasia et qui avait disparu depuis plus d'un an. L'autre est un jeune du centre de Laszlo, un prêtre ami qui s'occupe aussi de jeunes délinquants à Johanesbourg.

Le même "parcours du combattant" nous a ramené au pieds de la colline vers 14h30. J'ai récupéré les jeunes du shelter à 16h20. Ils étaient heureux de la journée et épuisés par les émotions fortes des différents engins du "Theme Park".

dimanche 7 juin 2009

Quelques nouvelles, suite...

Il est 22h30 ce dimanche soir. Je viens de rentrer après une journée bien chargée. Deux messes ce matin, suivies d'un conseil pastoral de 2 heures. Dîner dans la salle paroissiale avec une famille qui a célébré ce matin la pose d'une pierre tombale. Puis formation des lecteurs à 15h. A 16h30, je me rendais à une autre réunion que j'ai du quitter après 15 minutes pour me rendre au chevet d'une mourante. A 19h00, j'avais rendez-vous avec le directeur de l'école où je suis membre du pouvoir organisateur pour discuter, entre autres, de deux de mes jeunes qui donnent du fil à retordre. Et voilà... le temps passe vite.

Un de mes confrères est devenu évêque du diocèse de Bethléem (en Afrique du Sud) en mars dernier. Réagissant à mon envoi de ce matin, il me souhaite de rester porteur d'espoir. Je relis donc les nouvelles que j'ai écrites dans la hâte à l'aube... Suis-je trop négatif? Je ne pense pas. Les défis sont importants mais permettent à ma foi de s'incarner dans du très concret. Espoir?.... Bien sûr, sinon je n'aurais plus qu'à faire mes valises et à rentrer...

C'est à Thembalabasha - trois programmes pour des jeunes très défavorisés - que je passe le plus de temps. Je passe tous les après-midis au "shelter", c'est-à-dire au centre résidentiel où une dizaine d'adolescents essaient de mieux comprendre d'où ils viennent et comment ils peuvent ajuster leur comportement pour vivre au maximum le potentiel qu'ils portent en eux. Ils sont tous très attachants, mais qu'il est difficile de les libérer de leurs antécédants! La plupart n'ont pas connu de père, leurs modèles sont donc leurs aînés ... qui sont rarement des modèles.

J'ai du interrompre la rédaction de ce message après avoir "skypé" ma soeur aînée pendant une heure! Je reprends donc ce lundi à 13h00. Je viens de récupérer Thabang - presque 14 ans - un de nos jeunes du centre d'hébergement que nous avions renvoyé chez lui après qu'il ait commis une faute sérieuse il y a trois semaines. C'est le temps qu'il lui a fallu pour se retrouver une fois de plus à la rue. Je l'ai retrouvé saoûl de "colle". Il m'est tombé dans les bras sans aucune résistance et "cuve" pour l'instant son excès de colle. Il se conduira comme un ange pendant quelques semaines jusqu'à la prochaine pointe d'adrénaline! J'ai revécu "live" - une fois de plus - Luc chapître 15, 11 et suivants. Si vous avez une Bible à la maison, vous saurez de quoi je parle.

Nous avons une dizaine d'ados au centre d'hébergement. J'ai décris la plupart d'entre eux dans un précédent message. Il y a eu ces derniers mois des dévelopements très positifs. Certains des plus grands commencent à comprendre ce que nous pouvons vraiment leur offrir. J'ai commencé avec eux un "coaching" pour qu'ils deviennent les "hommes" dont Dieu rêve et dont le pays a vraiment besoin. Ils sont très réceptifs, particulièrement Sipho 18 ans et Thato 17 ans. Le travail de réhabilitation est un long travail de patience et d'amour... souvent décourageant.

Je dois admettre que je suis un peu débordé. Je suis bien aidé par Sybil au centre d'hébergement et par Smith au centre jour, mais pour l'administration, les comptes, les relations avec les bienfaiteurs, je suis seul car je ne peux me permettre d'engager plus de personnes. Je regrette de ne pas pouvoir leur donner plus de nouvelles. J'essaie de corriger ce problème...

Merci à tout ceux qui me soutiennent, par leurs prières, leurs messages d'encouragement ou par leur aide financière. Particulièrement le Rotary de Deinze en Belgique, la paroisse St Paul de Waterloo, l'association des femmes belges en Afrique du Sud et l'association des femmes irlandaises d'Afrique du Sud.


Quelques nouvelles

Presque six mois se sont écoulés depuis ma dernière communication. Six mois riches en événements, même si certains sont plutôt pénibles. En effet, pendant les trois premiers mois de 2009, trois prêtres catholiques ont été assassinés en Afrique du Sud. Un prêtre âgé a été retrouvé mort dans son appartement à Pietermaritzburg dans le KwaZulu Natal; en février, c'était un jeune prêtre d'un diocèse voisin du mien qui était assassiné par de jeunes hommes à qui il avait donné un “lift”. Mais l'estocade aura été pour nous tous, prêtres du diocèse de Johannesbourg, la mort du Père Lionel Sham, assassiné par deux jeunes, dont l'un – un ancien enfant de la rue – était bien connu du Père Lionel qui l'avait souvent aidé. Tous ces meurtres avaient pour unique motif le vol, très souvent de choses sans grande valeur marchande. Dans un pays où la richesse est très apparente, mais très mal distribuée malgré les lois favorables aux plus pauvres, beaucoup de jeunes n'ont rien à perdre, si ce n'est la vie pourtant si précieuse!

Un autre gros événement de ce début d'année a été l'élection du nouveau président d'Afrique du Sud. Jacob Zuma est l'heureux élu, sans surprise car il était le seul candidat de l'ANC qui reste le parti préféré de la majorité de la population. Pas de surprise mais quelques inquiétudes quand même, que vous partagerez sans doute avec moi si vous suivez la presse. Mais, d'une manière générale, il me faut rester positif et enthousiaste: l'ANC a quand même fait beaucoup pour redresser la situation créée par l'apartheid. Les gros défis restent malgré tout: un taux très élevé de criminalité, une pauvreté qui ne semble pas diminuer malgré les efforts du gouvernement, un enseignement en chute libre - surtout dans les townships et les squatter camps, un taux de chômage très élevé.

L'Afrique du Sud se prépare a recevoir la Coupe du Monde de football l'année prochaine. L'excitation est à son comble. Partout dans le pays, les routes sont en train d'être réparées, élargies, réorganisées... Il y a des travaux partout. On se croirait en Europe! Une ligne ferroviaire toute neuve est en construction entre l'aéroport international de Johannesbourg et Pretoria, en passant par le centre nerveux économique de Santon. Un genre de RER, en partie construit par le groupe français Bouygues.


Cela fait maintenant presque cinq ans que je suis curé d'un groupe de quatre communautés, dont la plus importante est celle de Lénasia – une communauté à dominante indienne. Les trois autres communautés sont composées d'africains, dont la plupart sont sans revenu sérieux. Je travaille beaucoup au rapprochement des deux communautés raciales, ce qui ne plaît pas toujours à tout le monde. Je suis entouré d'un groupe de chrétiens fervents et dynamiques qui réfléchissent et acceptent les défis de l'évangile. Malheureusement, ils sont souvent écrasés – et moi aussi d'ailleurs - par la majorité de ceux qui sont allergiques à quelque changement que ce soit. Le paternalisme, voire le racisme, est encore et toujours bien présent, malgré les 15 ans d'indépendance de l'apartheid.


Tout comme en Europe, il y a ici une crise très sérieuse des vocations. Contrairement aux autres pays africains, le sacerdoce ne procure pratiquement aucun statut, ni social ni économique. De plus, les communautés ont, depuis les temps de l'apartheid, pris l'habitude d'exiger les services plutôt que de collaborer à les produire, ce qui rend souvent la tâche du prêtre comme catalyseur de bonnes volontés très compliquée. Le célibat du prêtre est, comme partout ailleurs, un obstacle très important, qui, à mon avis, favorise les dérives sexuelles.


Cette crise des vocations, ainsi que la moyenne d'âge des prêtres se déplaçant de plus en plus vers le haut, ont sensiblement modifié les activités des prêtres. J'ai été nommé doyen d'un huitième du diocèse en début d'année. Cela veut dire que je suis responsable d'une quinzaine de prêtres, de leur productivité pastorale ainsi que de leur bien-être physique et spirituel. Cette fonction a ajouté à mon programme déjà bien chargé 16 réunions par an pour assurer la coordination entre l'évêque, les prêtres et les laïques de mon doyenné, ainsi que pour superviser et contrôler les obligations administratives des différentes paroisses.


Je viens aussi d'être élu directeur spirituel national d'un mouvement qui s'appelle YES, par manque de candidat plutôt que par mes qualités personnelles. C'est un mouvement qui organise des retraites surtout - mais pas seulement - pour les jeunes. Les retraites, ouvertes à toutes confessions religieuses, sont très dynamiques et favorisent la découverte de soi, la découverte des autres et finalement la découverte de Dieu. De nombreux jeunes parviennent, grâce à ces retraites, à exprimer les frustrations, voire les blessures profondes, produites par la relation abîmée, ou plus souvent le manque de relation, avec leurs parents. Le mouvement n'est actif que dans trois provinces, hélas très distantes les unes des autres, mais on travaille à son expansion.

Je continue ce soir...